L’invention du désir, ou la puissance des mots (Carole Zalberg)

« Ce sont elles qui ont décidé. Nos mains ». Voici l’incipit de L’invention du désir, de Carole Zalberg, qui sort aux Editions du Chemin de fer, illustré par Frédéric Poincelet. Au début, un homme et une femme sont dans un taxi. On ne sait pas bien s’ils ne se connaissaient pas du tout, ou s’ils s’étaient déjà rencontrés avant. Peu à peu, on découvre que ça n’a aucune espèce d’importance au regard de leur attrait mutuel, car la puissance des sentiments évoqués est telle qu’on se sent happé par les phrases, par l’histoire qu’elles véhiculent. Sous nos yeux avides d’en apprendre davantage chacun convoite l’espace vital de l’autre, corps y compris, dans un élan de désir, un élan de confrontation des corps. Chacun souhaite rencontrer l’autre au plus près, fusionner les peaux et les regards.

Qui du désir ou de la résistance éveille l’autre ? Il y a, dans L’invention du désir, quelque chose de l’interdit désiré, plutôt que du désir interdit « Après… je ne sais pas. Nos mains qui ne doivent pas et ne pensent qu’à ça. » (p. 12). L’élan trouve-t-il sa source dans l’interdit ? Carole Zalberg nous convie peut-être dans cet endroit ténu que l’on appelle communément fantasme, où le désir trouve sa pleine pérennité. L’imagination, les mots, l’écriture embellissent et renforcent l’exaltation, la puissance du fantasme, comme si il se matérialisait autrement que par les actes, là, sur le papier.

Voilà l’histoire inventée d’un désir immortalisé, et donc demeurant à jamais tel qu’il a été pensé. Car ce texte nous maintient dans l’attente, et quand il livre son érotisme, c’est encore à demi-mot. On a beau le relire et le relire avec plaisir, il y a toujours ce même désir qui subsiste, comme ce point, ce graphisme furtif qui se suffit et perdure : « Un point qui parce qu’il est un point ne finit pas, se suffit à son monde rond. » (p. 18). Les souffles, les mots sont le texte, les mots sont le fantasme reposant sur le sol de l’éternité : « Tu verras que je vacille et pour me garder entière et vivante tu me jetteras la corde de tes mots enchevêtrés. » (p. 25)

C’est aussi une histoire imaginaire prête à tout engloutir : « Toi et moi debout en même temps, écrasant la table entre nous, l’oubliant malgré les bords dans la chair. L’oubliant à la pulvériser. » : Carole Zalberg invente ici un personnage imaginant l’impensable, l’irréalisable, avec une telle force qu’on en voit effectivement le monde entier se désintégrer entre elle et son amant. Toute la puissance d’une écriture poétique et enlevée est au service des images, d’une vision de l’esprit, d’une histoire qui s’érige et nous fait vaciller devant tant d’élégance et de beauté.

Il faut s’arrêter un instant devant l’incroyable force d’un texte dont l’un des intérêts littéraires est l’imbrication des sphères imaginaires. On est frappé par le conditionnel employé, un temps fantasmatique inventé spécialement, fabriqué sur mesure par l’auteur.

L’invention du désir est la promesse d’un temps à part « Plus encore qu’un voyage, ce serait un morceau d’autre vie, une exception à la règle des jours. » (page 21), où plus rien de commun n’a sa place, où les corps et l’âme sont libérés de toute contrainte et peuvent s’unir  dans une parfaite osmose hors de la vie même. C’est la plénitude de la vie en dehors des heures, ce moment où tout est meilleur parce que se situant dans un ailleurs impalpable. C’est cet instant magique où le temps d’un aller on apprend à convoiter le retour, l’endroit quitté, parce qu’il nous parait aussi plus beau vu d’ailleurs, vu de là où nous ne sommes pas. C’est l’échappatoire irréelle où nous nous rendons tous, sans exception, pour apprécier notre présent et nos acquis à leur juste valeur.

L’invention du désir peut être lu comme une histoire, ou comme une allégorie. Il peut être lu comme une promesse, aussi. Il peut être lu comme plusieurs éphémérides, à chacune son chapitre. Mais il peut aussi être lu comme le reflet de ce que nous sommes : des êtres qui convoitent à jamais ce qu’ils n’ont pas encore. L’invention du désir, c’est la quête perpétuelle de ce que nous ne sommes pas et nous fait vivre, espérer, tout autant que ce que nous sommes nous fait avancer. L’invention du désir, plus que tout, est une pensée confrontée à elle-même, où tout est instable et peut changer au gré des secondes : « Je m’avance et même si je sens le sol sous mes pieds c’est dans le vide que je plonge à cet instant-là. Non. Pas le vide. Un espace en suspens où rien n’arrêtera les vertiges et l’affolement ; notre terre comme un ciel. » (p. 25). Le texte peut être un rêve, une réalité. Il est en tout cas d’une beauté rare et à sa lecture il ne manque aucune image.

Illustrer L’invention du désir se révélait d’autant plus difficile. Frédéric Poincelet a relevé le défi afin de créer cette alliance entre ses images et le texte de Carole Zalberg. La couverture de l’ouvrage est superbe, et le style assez déroutant. On regrettera toutefois que les images soient si explicites, si orientées vers l’érotisme, aussi, tant le texte nous invite à flotter au contraire dans quelque chose de doux et envoûtant, comme un rêve, une « confusion du sentiment et des sens » (p. 39) où l’auteur nous invite à entrer vierge de tout, s’échapper vierge de la vie, surtout.

L’invention du désir est une autre sorte d’au-delà qu’il convient de posséder, de pétrir, et surtout, de lire, car c’est sans nul doute l’un des plus beaux textes de Carole Zalberg.

L’invention du désir, Carole Zalberg, Illustrations Frédéric Poincelet, 4 Novembre 2010, 41 pages, 14 euros.

Ne manquez pas la présentation de « L’invention du désir » à la librairie La Terrasse de Gutenberg. 9, rue Emilio Castelar.  Paris 12ème. C’est la comédienne Micky Sébastian qui se chargera de la lecture !

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.