Mamoru Oshii : l’oeuvre d’un visionnaire

L’œuvre d’un visionnaire

1988, l’Occident découvre le phénomène japanimation à travers Akira, le film phare d’Otomo. Petit à petit le public se passionne pour cette culture venue d’ailleurs et adopte Otomo mais aussi Takahata et bien sûr Miyazaki qui remportera l’Ours d’or du festival de Berlin pour Le voyage de Chihiro. Pourtant, cinéphiles et cinéastes préféreront deux autres auteurs phares de cette génération. Satoshi Kon décédé il y a quelques années et Mamoru Oshii.
Ce dernier peut se targuer d’avoir inspiré tout un pan du cinéma de genre occidental de James Cameron à la fratrie Wachowsky an passant par Christopher Nolan. Ses thématiques, ses obsessions, la singularité de son univers visuel en ont déstabilisé plus d’un. La ressortie de quatre de ses œuvres majeures aux éditions Kaze avec en point d’orgue Innocence Ghost in the shell il y a peu, nous offre l’occasion de revenir sur ces morceaux de bravoure sur pellicule.

Patlabor, ou le polar religieux

A l’origine Patlabor est une série d’animation mettant en scène des policiers chargés de faire régner l’ordre dans un monde où pullulent les robots géants, les Labors. Pourtant la série s’éloigne très vite des standards classiques refusant des combats surdimensionnés pour mieux s’intéresser aux hommes à  l’intérieur des machines. On assiste donc plus à un New Police Departement Blues futuriste qu’à un énième ersatz de Gundam.
Fort du succès de la série, les producteurs vont lancer la réalisation d’un premier long-métrage. Leur choix se porte sur Mamoru Oshii. Pour ce premier portage sur grand écran, Oshii part d’un postulat simple. La police mène l’enquête suite à de multiples incidents provoqués par des Labors devenus fous. Cause probable, le nouveau système d’exploitation de l’intelligence artificielle des machines. Pourtant très vite, Les officiers  Noah et Azuma vont découvrir les dessous d’une machination venue d’outre tombe.
Avec ce premier volet, Oshii accouche d’un polar méticuleux truffé de références religieuses. Véritable polar biblique, Oshii évoque un dieu vengeur face à la nouvelle Babel.Délaissant les moments d’esbroufe, il préfère adopter une approche classique du film d’enquête en ajoutant son lot d’interrogations sociales et politiques qui constitueront peu à peu sa marque de fabrique. Oshii montre ici que le vecteur animé peut d’ores et déjà rivaliser avec le film live en terme narratif et de mise en scène. Une constante dans les œuvres suivantes.

Patlabor 2,  un air de Tom Clancy

Ancien chef de la police des Labors, le capitaine Tsuge revient au Japon avec la ferme intention d’ouvrir les yeux de ses compatriotes. Après avoir été abandonné par son gouvernement lors d’une mission militaire pour le compte de l’ONU, il entreprend une vaste entreprise de déstabilisation du pouvoir en place. Son ancienne maîtresse et élève devenue entretemps chef de la police va s’employer à l’arrêter…
Avec le premier opus, Oshii délivrait un épatant polar. Avec le second, il produit peut être l’un des films de politique fiction les plus passionnants de ces vingt dernières années. Avec ce Patlabor 2, Oshii explore toutes les interrogations suscitées sur les dissonances sociales mondiales et les différentes questions géopolitiques des années 2000, ce dix ans avant les attentats du 11 septembre. La multiplicité des plans séquences et la qualité de la photographie donnent à l’ensemble une époustouflante  cohésion graphique. Quand à la conversation sur le quai, sans doute le moment de grâce du film, elle constitue sans doute une des plus belles réflexions sur le passé, le présent et l’avenir de nos sociétés. Contemplatif à défaut d’être spectaculaire, Oshii signe avec Patlabor 2 une alternative à la surenchère hoolywoodienne.

Ghost in the shell, l’Homme et la machine

Quinze ans après Blade Runner de Ridley Scott, Mamoru porte à l’écran sa propre réflexion sur les rapports entre l’Homme et les intelligences artificielles, s’interrogeant sur leur possible humanité. Pour ce faire il adapte librement le manga  éponyme de Masamune  Shirow, mais en délaissant le côté hardware et les orientations politiques séditieuses originelles.
Ghost in the shell plonge le spectateur au cœur d’une sombre affaire d’espionnage que tente de résoudre une unité d’élite de la police, la section 9. A sa tête, le major Kusanagi mi femme mi machine est en proie au doute sur sa propre identité.
Œuvre glaçante portée par un subtil questionnement métaphysique et la musique éthérée de Kenji Kawai, Ghost in the shell est le film qui a définitivement implanté le genre en Occident. Adulé par James Cameron puis largement copié par les Wachowski, Ghost in the shell constitue une des plus belles références au sein de la science-fiction ces vingt dernières années. De là à dire que le film boucle un cycle commencé avec 2001,l’odyssée de l’espace puis poursuivi par Blade Runner, il n’y a qu’un pas. Dans tous les cas, le film continue de passionner les cinéphiles et cinéastes du monde entier quinze ans après sa sortie.

Ghost in the shell 2 : Innocence, requiem for a dream

Si Ghost in the shell 2 n’est pas le dernier film d’Oshii, il constitue en revanche sa dernière réussite. Là encore il part pourtant d’un principe relativement simple. Batou super flic de la section 9 enquête sur une série d’agressions perpétrées par des poupées « intelligentes » conçues pour les plaisirs des plus pervers. Encore hanté par la disparition du major Kusanagi, il va se jeter corps et âme dans cette aventure aux côtés de Togusa, aux méthodes radicalement opposées.
Innocence n’est pas une simple séquelle, le film représente bien l’aboutissement de l’univers du cinéaste. Ce dernier n’hésite pas d’ailleurs à puiser ci et là dans ses plus belles réussites pour accoucher de ce long-métrage. Le piège mental qui se referme sur Togusa par exemple renvoie directement à Beautiful Dreamer l’un des premiers films d’Oshii.
Mais surtout, à l’instar de Blade Runner, Innocence est un magnifique film noir qui dépasse les limites mêmes du genre et propose une variation de thématiques d’une richesse insoupçonnée. Quand on sait qu’Oshii cite allègrement l’Eve future de Villiers de l’Isle Adam et que les dialogues sont des citations de Confucius, on ne peut que rester bouche bée face à l’ambition démesurée voir gargantuesque du cinéaste.

Patlabor, Patlabor 2, Ghost in the Shell et Ghost in the shell 2 sont quatre films d’animation réalisés par Mamoru Oshii. Tous les quatre sont disponibles en Dvd/  Blu-Ray aux éditions KAZE.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture