2001, l’odyssée de l’espace

Il était une fois l’Homme

L’aube de l’humanité, un mystérieux monolithe, le premier voyage vers Jupiter et un ordinateur fou. Autant d’éléments concomitants qui convergent vers une seule question, l’origine de la vie et la fin du monde.

L’année 2019 sera l’anniversaire symbolique du décès de Stanley Kubrick. Vingt ans se seront écoulés depuis sa mort, perte tragique et brutale pour le septième art. A l’aube de l’an 2000, un sondage avait intronisé le bonhomme en cinéaste majeur du siècle. Titre quelque peu flatteur accordé par un public qui avait déjà oublié Murnau, Ford ou Ozu. Mais titre en partie légitime au regard d’une filmographie certes peu prolifique, mais d’une richesse incontestable, édifiée par un démiurge descendu par les hommes. Bien évidemment, on trouve parmi ses œuvres, plusieurs bijoux , et surtout quelques pépites exceptionnelles : Lolita, Barry Lindon et 2001, l’odyssée de l’espace.

Cette année justement, le cinéma fête le cinquantenaire de ce film légendaire, qui ne cesse de diviser le public. Film culte pour certains, véritable chef-d’œuvre pour d’autres, mais pour le reste, œuvre fallacieuse outrancièrement pompeuse et compliquée. Nul doute que 2001 ne laisse personne indifférent, y compris aujourd’hui. En revanche, il est quasi certain qu’une telle œuvre sombrerait désormais au sein d’un box-office régi par des récits frénétiques à la narration décousue.

2001 incarne toutes les forces et obsessions d’un auteur alors au sommet de son art. Conçu comme un opéra en quatre actes, le film se languit sur la musique des Strauss, d’Ainsi parlait Zarathoustra au Beau Danube Bleu. Bercés par ces mélodies, les protagonistes se meuvent lentement, inexorablement vers une destinée commune, celle de l’humanité.

Il y a d’abord cette vision des temps préhistoriques et l’apprentissage de la force par les premiers hommes. Puis vient le temps de la tromperie, quand les scientifiques cachent leur découverte pour leur plus grand malheur. La trahison de la machine faite à l’image de l’homme. Puis viendra le moment de la mort puis de la résurrection au terme d’un voyage onirique et psychédélique. A chaque plan, à chaque scène Kubrick teinte la moindre image d’un symbolisme inexplicable de prime abord, mais d’une limpidité folle. Chacun attendra des réponses qui se trouvent pourtant bien là, sous nos yeux, dès les premiers instants.

Car tout ceci n’est que surface pour le réalisateur. Comme à l’accoutumée il use d’un genre ou d’un script pour mieux nous parler de la société et de son environnement. Adoptant un regard cynique qui lui est propre, Kubrick échafaude un plan en grand calculateur qu’il est pour mieux conter la naissance, la chute et la renaissance de l’humanité. Son regard se pose dès les balbutiements de son long-métrage sur la pensée primale, première de l’espèce. Il entrevoit déjà toute la noirceur tapie dans son âme. Car l’homme détruit tout ce qu’il touche depuis la nuit des temps. Avec un silex d’abord. Ensuite, il crée un ordinateur à son image,qui ne tarde donc pas à dérailler et à tuer. Pour Kubrick, l’homme finit toujours par corrompre ce qu’il touche. Il faut alors faire table rase pour mieux renaître de ses cendres.

Kubrick n’invente rien, il constate d’un œil agacé, toujours innocent, mais jamais dupe. Cet œil contemple avec voyeurisme les premiers pas de ceux qui ne cesseront de le décevoir. Cet œil s’incarne ensuite dans celui, mécanique d’Hal, témoin de l’insurrection qui s’ensuivra. Enfin c’est par l’œil de Bowman  que survient la vision de l’apocalypse (au sens littéral du terme, c’est à dire révélation) mais également une forme de salut. En revanche nul doute que ce regard porté toujours vers l’avant doit beaucoup à celui du joueur d’échec émérite et du photographe hors-pair, ces multiples identités revêtues au fil des ans par le cinéaste. Ainsi ce dernier prévoit tout, orchestre tout laissant habilement l’engrenage infernal se jouer des personnages comme des spectateurs.

Pour le metteur en scène, tout n’est qu’orfèvrerie dans cette fable des temps modernes, rien n’est laissé au hasard, et tout laisse à croire que l’imperfection humaine est synonyme des maux ambiants. La preuve, si Hal se dérègle, n’est pas car il est fait à l’image de l’homme, donc sujet aux défaillances et au doute ?

Au delà de la mécanique huilée de main de maître imaginée par son auteur, 2001 bénéficie d’une photo magnifiée, que peu arrivent à approcher même avec les techniques contemporaines. En outre, il offre un ballet incandescent, où chaque pièce, protagoniste, vaisseau, s’inscrit dans une ronde sans fin, mouvement perpétuel dont le fatalisme rappelle le sort de Sisyphe. Si beaucoup reprochent désormais l’action lente du long-métrage, les autres réfuteront cet aspect pour souligner l’exposition impeccable, implacable de chaque plan, de chaque scène où tout fini par s’imbriquer dans une narration sans faille. Le réalisateur se soucie du moindre détail, du choix de la musique d’ouverture rappelant la sagesse évoquée par Nietzsche et oubliée par la suite, à l’exactitude scientifique dépourvue de défauts. Quatorze avant Blade Runner, Kubrick ne choisit pas de montrer un futur crédible mais plutôt une interrogation sur les tenants et aboutissants de son monde, notre monde.

Comme ses contemporains Leone et Peckinpah, Kubrick affiche amertume et nihilisme, remettant sans cesse en cause la confiance qu’il éprouve pour son époque. 2001, l’odyssée de l’espace devient alors  le credo d’un artiste qui a perdu la foi dans sa propre espèce et qui désire plus que tout la retrouver, le temps d’une valse, d’une quête où Ulysse lui-même s’est perdu avant de retrouver les siens. Kubrick ne désire point rejoindre Pénélope ici, mais plutôt les cimes du cinéma, accouchant par là-même d’un ovni furieux, dérangeant, fascinant et intemporel. Et à travers cette expérience sensorielle et métaphysique dont on ne ressort pas indemne, ce sont les vers des Correspondances baudelairiennes qui affleurent.

Film américain et britannique de Stanley Kubrick avec Keir Dullea, Gary Lockwood, William Sylvester. Durée 2h21. Sortie le 27 septembre 2018. Sortie en version restaurée le 13 juin 2018.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture