Quand David Fincher s’approprie les peurs de Scott Fitzgérald

L’étrange histoire de Benjamin Button, vue par David Fincher

J’ai vu le film qui devait illustrer un peu la déjà très imagée nouvelle de Scott Fitzgérald. J’ai trouvé le début un peu déroutant, car contrairement à la nouvelle, le père abandonne Benjamin en voyant que c’est un bébé flétri aux articulations tordues et grinçantes. C’est déroutant car dans la nouvelle, le père n’abandonne pas l’enfant.

Je me souviens alors qu’il s’agit d’une libre adaptation, et, bien que sur mes gardes, je suis très attentive et très réceptive aux émotions que suscitent l’histoire.

David Fincher opte pour une mise en abîme très en vogue au cinéma, et qui, somme toute, correspond bien à ce type d’histoire : L’histoire de Benjamin Button se déroule de 1918 aux années 2000,  mais nous est rapportée par son journal, qui est lu par la fille de l’amour de sa vie (Cate Blanchett). Celle-ci souhaite en effet entendre le récit de son vieil amant au seuil de sa vie, alors qu’un ouragan menace de ravager l’hôpital où elle se trouve (oui, ça fait beaucoup de choses, et surtout, beaucoup plus que dans la nouvelle).

On l’aura compris, adapter une nouvelle en faisant un film de presque 3 heures, c’était suspect : voilà le mystère levé ! David Fincher tisse autour de l’histoire de Benjamin l’Histoire de tout un siècle, avec les périodes aussi variées que celui-ci (le XXème donc) peut connaître : victoire des USA lors de la grande guerre, arrivée de nouvelles technologies destructrices, cruauté politique et espionnage, les temps difficiles du cinéma et l’essor des nouvelles expressions  artistiques dans le domaine musical (ballets, musique – avec les Beatles).

Pour faire un film conséquent, et donner le temps au spectateur de s’imprégner du thème exploré par la nouvelle de Fitzgérald, il a donc fallu que David Fincher étoffe un peu l’histoire. Soit.

Je dirais que le tout est assez réussi : les acteurs servent magistralement le morceau. Brad Pitt est en effet méconnaissable, époustouflant de sincérité. Cate Blanchett est magnifique, impressionnante de vérité du début à la fin (si bien que je ne sais même pas quel âge elle peut avoir en réalité… et je n’ose pas briser mes rêves en vérifiant). Tous deux bénéficient d’un maquillage renversant tout au long du film. Les autres acteurs servent le film également par leur présence originale, comme un piment qui relève encore le tout.

Si David Fincher a brodé, c’est pour mieux dévoiler encore l’épaisseur des inquiétudes qui habitaient l’écrivain, tout au long de sa vie : un corps qui trahit par son vieillissement, un temps qui ne s’arrête pas de tourner, des êtres chers qui disparaissent, la perte de nos facultés… Ici, Benjamin Button est trahi par son corps non pas à la fin, mais du début à la fin de sa vie. Jeune dans la peau d’un vieillard, il passe pour un pervers auprès de son jeune amour. Vieux dans un corps jeune, il suscite le mépris autour de lui, et la méfiance. L’atmosphère rendue est vraiment très très proche de l’ambiance perçue dans le livre. Le réalisateur a parfaitement sû s’approprier les craintes évoquées par Scott Fitzgérald : le spectateur pense à la mort, la sienne, celle de ses proches, comme une évidence aussi dévorante qu’absurde, inévitable. Le personnage de Brad Pitt ne cesse de s’interroger, en même temps qu’il est le seul à comprendre réellement la signification des choses, l’absurdité de son corps, et la grandeur des pertes subies par l’humain.

Enfin, le film a de très belles photos, et, malgré quelques longueurs, semble finalement ne comporter que des passages nécessaires, tant son sujet se rapproche de l’idée d’étapes, de phases, de rites… d’épreuves.

Un film à ne pas manquer, rien que pour la beauté des images, le thème, les acteurs. Il s’en fallait de peu pour que je me dise qu’il deviendrait un film culte.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.