La nuit du 16 juillet 1942, une petite fille fait partie, avec son père et sa mère, des nombreux juifs qui furent raflés, puis séquestrés pendant des jours au Vélodrome d’Hiver, en plein coeur de Paris, avant d’être déportés vers Auschwitz. La petite fille ne pense qu’à une seule chose : retourner à l’appartement de ses parents, coûte que coûte, afin d’en libérer son petit frère Michel, âgé de quatre ans, et enfermé dans le placard transformé en cachette.
Soixante ans plus tard, Julia Jarmond est chargée par Joshua, son patron, d’écrire un article qui sortira à l’occasion du Soixantième anniversaire de la nuit du Vel d’Hiv.
Julia enquête alors sur cette nuit, et sur cet événement d’une empleur incroyable, que pourtant ces français n’osent pas évoquer, et souhaitent semble-t-il oublier à tout prix. L’américaine vit depuis plus de vingt ans à Paris, et jamais elle n’a eu l’occasion d’en apprendre davantage sur cet événement qui suscite tant de réaction différentes : il fait pâlir de honte le peuple français lorsqu’il se souvient, blêmir d’horreur ceux qui n’étaient pas au courant.
Rien ne lit la petite fille juive, Sarah, et l’américaine d’allure sportive, portant bien ses 45 ans. Pourtant, la commémoration de l’événement, la curiosité qu’il va susciter chez Julia vont donner naissance à une investigation remplie d’émotion, qui changera la vie de la journaliste, et celle de bien d’autres personnes.
Dans ce livre, rien n’accuse ni ne revendique : pourtant, on ne peut s’empêcher de ressentir une terrible impuissance, mêlée de honte, à l’unisson de ce personnage qui découvre que la France, et sa police, ont participé sous le Régime de Vichy à la grande rafle du Vel d’Hiv. Cet ouvrage ne prétend pas être un travail d’historien, comme rappelé en introduction, et pourtant, il nous rapproche tellement de cette terrible histoire longtemps tue, qu’il serait impossible après sa lecture d’oublier ce passage honteux de notre frise chronologique. Impossible également, en faisant ce constat, de se demander au passage si faire de notre histoire un roman n’est pas le meilleur moyen de convoquer les mémoires, de les rappeler à l’ordre.
Lorsque l’auteur raconte la rafle, dans un point de vue omniscient implacable, cru et parfois tellement proche pourtant de ce que ressent cette petite fille qui deviendra adulte en une nuit, on s’interroge aussi sur ce que peut devenir un pays après un tel moment. Au coeur de cette nuit, rien ne laissait présager la fin de la guerre, la fin de l’occupation, et l’avortement du nazisme français. Elle s’appelait Sarah nous plonge avec tellement de talent au coeur de l’événement qu’aucune issue ne paraît possible, et qu’aucun lien ne peut être fait entre ce pays contaminé par la guerre, la Shoah, les massacres et surtout la lâcheté grandissante et le pays qui en ressortira plus tard, visiblement lavé de toute culpabilité. Terrible phrase que celle d’un des personnages, page 196 : « Mon dieu, que devient ce pays ? ».
La journaliste, convaincue de l’horreur persistante de cette amnésie française, s’affaire à récolter des témoignages, et se heurte à un destin particulier, celui de Sarah. Elle va s’acharner à son devoir de mémoire, personnellement d’abord, puis en s’imiscant dans la vie de deux familles, malgré ce qu’interdit le bon sens à la française, qui commande plutôt de se taire.
Ce livre nous entraîne dans ce travail donc, nous rappelle à nous lecteur, avec cette technique très habile qui consiste à faire d’un personnage tragique et attachant la clé de l’Histoire avec un grand H, c’est à dire, la clé de notre curiosité. Poursuivant sans relâche un destin qui lui était inconnu jusqu’alors, Julia fera de sa quête une passion folle où la femme recherchée deviendra peu à peu son idole, son héroïne, puis la nôtre.
Est-il opportun de réveiller les mémoires ? D’éveiller les consciences ? De réparer les trous ? De colmater les manques ? Toujours, on se pose la question, car s’affranchir d’un passé ne se fait jamais autrement que dans la douleur. L’oubli est moins douloureux que la mémoire. Parler du passé, c’est parfois le faire revivre et le rendre si vivant qu’il engage vers cette ultime question : aidera-t-il l’avenir ?
© Publié dans le Magazine des livres n°12 du 24 septembre 2008