Berceuse pour un pendu, de Hubert Klimko

La vie est faite de rencontres. Nous nous forgeons grâce à elles et devenons ce que nous sommes à partir de ces croisements avec des êtres qui débarquent en nous, s’éloignent, repartent, ressurgissent. Nous croisons le fer, bâtissons des maquettes de notes ou de bois, trinquons nos verres, discutons le bout de gras avec des gens qui l’instant d’avant, l’instant d’après, revêtent la panoplie de l’inconnu ou de l’oublié. Parfois, la magie opère quelques heures qui se suffisent, quelques jours qui dans la mémoire s’éternisent, ou quelques années comptant déménagements et naissances, complicités et tourments, fortunes et avaries. Un beau jour quoi qu’on en pense il faut bien se rendre à la mort, et, si ce n’est pour soi-même, accepter de laisser partir un ami comme un train de passage sur le quai d’une gare, emportant une partie des souvenirs, laissant l’autre, dans ce partage inégal et arbitraire que la mémoire se chargera à son tour de falsifier.

Berceuse pour un pendu raconte à sa manière ce bout de chemin que le narrateur fait avec Boro, un croate un peu louffoque, paniqué par le vert, et Szymon, violoniste qui compose entre deux crises de folie qui le conduisent à l’hôpital. Szymon et le narrateur sont polonais. Aussi est-il miraculeux que leur rencontre ait lieu à Reykjavik, en Islande, où ils ont tous émigré à la recherche de la fortune ou d’un train de vie normal, ces deux notions étant, pour eux, synonymes.

Tour à tour clown des rues embarquant derrière lui son armoire, poète auto-édité, le narrateur embarque ou suit ses deux comparses au gré des galères et des coups de chance.

Certains passages trahissent un léger goût de provocation « deux monuments de bronze. Quand on se trouve juste au dessus des toilettes publiques, qu’on regarde le caban du Premier ministre et du coin de l’oeil la main du roi, et qu’on avance et recule délicatement la tête, on a l’impression que le roi Christian enfonce l’acte d’indépendance tout droit dans le cul du Premier ministre » (p. 81). On reconnaît aisément chez Klimko ce goût de l’absurde, ce penchant pour les âmes folles que l’on retrouve dans la littérature de ses pairs, un peu à la manière de Gombrowicz, mais en plus léger.

Tous les personnages sont attachants, authentiques et dingues à la fois, et dans leur situation désespérée ne sont jamais désespérants. Le personnage de Boro, qui apprivoise une orque que l’on aime imaginer imaginaire et finit par encimenter une compagne castratrice est une trouvaille remarquable. Szymon quant à lui est cette figure de l’ami imprévisible et douloureux que l’on aime côtoyer pour sa bonté et pour la joie qu’il nous donne malgré sa mélancolie. Szymon est à l’image d’une mélodie envoûtante qu’on oublie jamais, familière et nécessaire : « C’était tellement simple, tellement intime, tellement proche de nous. C’était une musique semblable à lui, compliquée et simple à la fois, avec des accents venus des hauteurs de Podhale et le raffinement d’un compositeur immense et génial. » (p. 125). Szymon, c’est l’ami qu’on voudrait garder près de soi à jamais, pour être bercé, bercé… comme un pendu.

Berceuse pour un pendu, Hubert Klimko, Belfond, Août 2010, 142 pages, 16 €.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.