Huis Clos, de Sartre, vu par Vladimir Steyaert

21h précises, Théâtre du Lucernaire le 20 juillet 2011. Les spectateurs montent quelques étages supplémentaires, c’est à dire jusqu’au dernier, celui où l’on trouve la salle joliment nommée « Le Paradis ». Sur le seuil de cette salle aux murs sombres, on entend un vrombissement. On se dit que peut-être, on nous a tendu un piège. On s’installe, dociles, sur des sièges colorés : seul point de couleur de la pièce, les sièges d’un violet rassurant sont plutôt confortables. Tout le monde est installé. Le Huis Clos peut commencer.

Huis Clos, c’est le moment où Sartre a choisi le théâtre pour orchestrer des conflits autour de l’existentialisme, et c’est en 1944. L’homme devient ce qu’il est par ses actes, et il en est le seul maître. Voilà ce que nous dit Sartre en substance. A la manière d’un Marivaux, Sartre installe ses personnages dans une situation propice à l’éclatement de la vérité, au déchaînement des passions, mais plus qu’une étude de caractères, il nous offre ici l’occasion d’étudier ce que peuvent devenir les relations humaines entre trois personnes enfermées à jamais dans une même pièce. En d’autres termes, Sartre illustre ce que peut être l’enfer, un lieu pourtant ordinaire où l’autre devient insupportable, et qui plus est, un lieu dans lequel on se retrouve après la mort parce qu’on a mal agit avant. Pour Sartre, l’enfer pour l’humain, c’est l’ensemble des autres humains.

Ainsi, Ines, Joseph et Estelle échouent dans une pièce assez cosy, avec chacun un canapé. Joseph, qui a passé cinq années à torturer moralement son épouse, est mort criblé de balles. Estelle, une mondaine ultra-superficielle a fini ses jours étouffée par une pneumonie. Inès est quant a elle morte asphyxiée au gaz avec sa dulcinée, qu’elle avait un peu plus tôt ravie à son cousin. Adultère, mépris, homosexualité, cruauté, méchanceté : tour à tour chacun des personnages finit par dévoiler son vrai visage et les vraies (ou fausses) raisons qui les ont conduit en enfer.

L’ambiance est électrique, et Vladimir Steyaert a eu du flair, car dans une pièce où les dialogues ont toute leur importance, il a su donner sa place à une musique qu’on n’attendait pas. Ainsi « Hells Bells » de AC/DC entraîne les spectateurs à mesure que les personnages prennent de l’ampleur, se convoitent et se déchirent. Ici, pas de porte qui grince, tout est à sa place, y compris ces accents fabuleux des acteurs : Joseph Garcin est habité par le Togolais Roger Atikpo, Inès Serrano est campée par la charismatique Ursa Raukar (Croate), Estelle Rigault est jouée par la judicieuse Adela Minae (Roumanie). Chacun des différents accents offre un relief particulier. Sans pouvoir parler d’exotisme, ce qui serait presque vulgaire, on pourrait presque croire qu’on ne pouvait pas rêver meilleure distribution pour un Huis Clos plus universel.

C’est audacieux, c’est extrêmement bien joué, divinement bien vu. Une pièce qu’on vous conseille d’aller voir au Théâtre du Lucernaire, jusqu’au 10 septembre 2011.

 

Huis Clos
Texte publié aux éditions Gallimard, dans la collection Folio

« Vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (…) Alors, c’est ça l’enfer »

Du 20 juillet au 10 septembre 2011
Du mardi au samedi à 21h00
Durée : 1h30

Genre du spectacle : Théâtre / Contemporain
Texte : Jean-Paul Sartre
Mise en scène : Vladimir Steyaert
Avec : Ursa Raukar (Croatie), Roger Atikpo, (Togo) Adela Minae (Roumanie) / Larissa Cholomova (Russie) (en alternance), Jérôme Veyhl (Allemagne) / Antoine Sastre (Espagne) (en alternance)
Scénographie et costumes : Rudy Sabounghi
Lumières : Cyrille Chabert
Son : Fabrice Drevet
Perruques et maquillage : Nathy Polak

 

Pour un aperçu de la musique employée pour la pièce :

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About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.