Du temps qu’on existait, Marien Defalvard

©RobertoFrankenberg

Le temps est assassin

Il est certains auteurs dont les livres ont une vie propre. C’est le cas de ceux qui s’effacent derrière leurs oeuvres, leur laissent la place, la part belle, l’espace. Ayant jeté le caillou dans la mare ils se retirent et contemplent le nombre de vagues, puis de vaguelettes, jusqu’à ce que l’eau redevienne totalement transparente, ou pas.

On avouera bien volontiers qu’à l’heure où les grandes enseignes distribuent à la fois livres, manettes de jeux, et brownies au chocolat il est tout aussi dangereux pour l’auteur de lâcher son livre seul dans la nature que pour une mère de lâcher la main de son gamin de deux ans à l’approche d’une nationale.

J’ai longtemps attendu avant de pouvoir parler du roman Du temps qu’on existait. D’abord parce qu’on en parlait trop, et qu’avant même la parution de ce livre, bon nombre de jaloux, de frustrés, d’avisés, de blasés (oui tout à la fois) s’agaçaient déjà de l’âge de son auteur. Un article vantait même, tout en ayant l’air de les déplorer, les recoupes faites dans le gras du livre : de 1000 pages, celui-ci a été ramené à moins de 400 pages avant parution. D’emblée, le phénomène précédait son oeuvre.

Marien Defalvard ne fait pas partie de ces auteurs qui s’effacent. Je l’avais espéré cependant. Je l’avais espéré, lui, aussi mystérieux que discret. J’avais espéré, en réalité, qu’il fasse tout autant mentir l’âge de sa plume que l’aisance de son éloquence. J’avais espéré qu’il ressemblerait à ce que certains passages de son roman laissaient entrevoir de son personnage.

«Je lui dis que je n’aime pas les autres.
Ils en font trop, ils sont démonstratifs et bavards.» (p. 118)

Malheureusement, on ne doit jamais confondre le narrateur et l’auteur. M’évertuant à ne rien vouloir savoir de lui, je me suis heurtée ces deux derniers mois à bien des échos désagréables. J’ai fini par tomber sur une vidéo de lui chez Ruquier, donnant des leçons de politique à Ségolène Royal, assenant que les politiques sont inféodés, concluant sur une allégorie de la répétition 1981. Scène improbable où un brillant écrivain natif de 1992, donne publiquement des leçons politico-économiques à ses aînés, à peine arrivé dans le domaine public.

Pour couronner le tout je m’apprêtais à écrire enfin mon article, voyant le calme revenir, lorsque ce beau jeune homme à l’accent aristocratique obteint le Prix de Flore. Je ne reconnais rien aux prix, excepté ceux du public. Pour autant, je ne fustige pas leurs gagnants. Pour parler d’un livre, je n’ai jamais eu besoin d’en savoir davantage sur son auteur. Ici, on me reconnaîtra que j’ai tout tenté de n’en rien apprendre : impossible. La rumeur précédait le livre, et la polémique repartait.

Du temps qu’on existait est le récit d’un mort qui raconte sa vie de 1961 jusqu’à son enterrement de nos jours. C’est un récit qui s’attarde, et dans lequel il ne se passe rien sinon la vie et les rencontres d’un homme qui se fatigue de l’existence avant même de l’avoir vécue. S’il est nostalgique, c’est de son tout jeune âge, ce temps qu’on voudrait garder et qui se fane très vite  pour être plus tard rangé dans le placard de la mélancolie. Ses années de jeunesse sont d’une beauté désuète, les descriptions y sont précieuses, plus précieuses encore que dans les années suivantes. Tout est évocation, du passé bien sûr.

Ce récit est remarquable, d’un autre temps. On ne peut s’empêcher de penser à une certaine provocation du titre : Du temps qu’on existait, récit d’un mort pris de nostalgie pour une époque à l’intérieur d’une vie dont il s’était lassé très vite. «J’abusais du passé pour me garder de vivre.» (p. 243) C’est un récit qui use sans cesse avec les désuétudes, qui vous assène parfois de ces vérités que l’on ne tenait pas, que l’on ne s’attendait pas à lire, et vous jette à la figure un désespoir que vous n’auriez pas voulu voir : «la solution c’était la mort, mais je ne pus jamais m’y résoudre, car je n’aimais pas mourir».

Contrairement à ce qu’on pourrait penser si l’on persistait à confondre auteur et narrateur, le personnage de ce roman est attachant. Enfermé dans un mal de vivre puéril et inexpliqué. Ce grand garçon qui n’a d’autre préoccupation que lui-même ressemble au fond à un riche enfant boudeur qui ne connait rien du labeur ou de la pauvreté. C’est ce qui nous fait penser : pauvre vieil enfant.

On m’a souvent opposé que l’auteur avait volontairement abusé de formules ampoulées, accentuant l’aspect suranné de son texte. N’est-ce pas là précisément le rôle, le droit, le travail de l’auteur ? Peu importe ses intentions à vrai dire. Un texte a/est toujours une intention. Quelle qu’elle soit. Le résultat est qu’on ne peut nier la qualité de ce texte. Artificiel ? L’artifice est beau. Qui colle bien à l’auteur ? Je me fiche de l’auteur.

En réalité, j’ai eu la chance de pouvoir lire ce livre à l’étranger : ni internet, ni journaux, ni télévision, ni radio. Ouf. Le moment de ma lecture a été préservé et c’est peut-être ce qui a sauvé mon opinion non salie par ce qui précédait l’ouvrage. L’oeuvre, elle, est réussie. Et pour peu qu’on s’y laisse emporter, et qu’on ne se laisse emporter que par elle, tout est parfait.

La sortie, l’apparition de l’ouvrage euent été parfaites si Marien Defalvard s’était effacé derrière son oeuvre. Cela en effet l’aurait rendue plus belle à mes yeux. L’oeuvre adulte d’un adolescent consentant à ce qu’elle vive sa vie. Malheureusement, si l’on peut déceler la jeunesse de l’auteur quelque part, ce n’est ni dans son écriture, ni dans ses propos, mais dans les lieux où il a choisi d’apparaître et où un auteur féru de culture n’a nul besoin d’être pour exister.

Peu importe. J’ai l’oeuvre, quelque part dans mes étagères, rangée entre deux autres de mes ouvrages fétiches. L’auteur, une fois cet article achevé, je l’aurai bien vite oublié. Il n’existera plus. Il sera peut-être «périmé», comme le personnage de son roman. Il aura disparu. Du temps qu’on existait est un excellent roman, intemporel, sorti du néant. Attendons désormais de voir si le temps lui permettra de survivre à son auteur dans l’histoire littéraire…

Du temps qu’on existait, Marien Defalvard, Grasset, Septembre 2011, 372 pages, 20,50 Euros.

 

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.