Eva et Franklin vivent le parfait amour et c’est presque naturellement qu’Eva finit par annoncer qu’elle ne verrait pas d’inconvénient à ce qu’ils aient un enfant ensemble. C’est ainsi que cette jeune femme épanouie tant sentimentalement que professionnellement, à ce qu’il semble, passionnée par les voyages et la Tomatina*, se retrouve enceinte puis bientôt mère du petit Kevin.
Kevin est donc issu de ce que l’on pourrait appeler une grossesse « consentie ». Un petit garçon désiré et conçu dans le désir. Cependant, rien ne va se dérouler comme l’imaginent les deux amants. Eva, surtout, sera bientôt confrontée à des difficultés qui la dépasseront très vite, jusqu’au jour où Kevin, à l’aube de ses 16 ans, commettra l’irréparable.
Rouge
Dans We need to talk about Kevin Lynne Ramsay met d’abord visuellement l’accent sur la couleur rouge. Dès l’introduction, on découvre une Tilda Swinton prenant plaisir à se baigner au milieu d’une foule pataugeant dans du jus de tomates. Jus de tomate, peinture, bougies, pommes, polo. Jusqu’au ballon avec lequel Eva essaie de faire sortir son jeune garçon du mutisme, tout est rouge et annonce la catastrophe à venir. La couleur devient menaçante, et le spectateur méfiant.
De qui se méfier ?
Le film ne fait aucun mystère. Kevin commet l’irréparable et il purgera sa peine pendant que sa mère s’interrogera sur ce qu’elle aurait dû faire ou ne pas faire. C’est là tout l’intérêt du film : sans comprendre pourquoi Kevin commet une telle horreur, on ne peut s’empêcher de penser que sa mère est folle tout au long du film.. au moins autant que lui. Toutes les ficelles sont utilisées pour faire douter des deux personnages.
Qui construit l’autre ?
Eva, interprêtée par Tilda Swinton, apparaît d’emblée comme une mère incapable de communiquer avec son enfant. Absence de fibre maternelle ou inconscience de l’importance de son rôle, il est évident qu’Eva est dans l’attente plus que dans la construction. Elle attend que son fils lui obéisse. Elle attend que son nourrisson se taise, d’abord, sans lui adresser le moindre mot. Elle attend que son enfant parle, ensuite, sans comprendre le silence qu’il lui oppose.
En l’absence totale de communication, l’enfant peut-il se construire ? Il semble en tout cas que Kevin ait compris un fonctionnement, et le reproduise à la perfection.
Eva, après le drame, revient sur ces moments et tente tant bien que mal de comprendre ce qu’elle a pu louper, en subissant à son tour les violences de son voisinage : après le drame, beaucoup de personnes la tiennent pour responsable des actes de son fils.
Peut-on tout imputer à une mère, quand bien même elle n’aurait pas joué correctement son rôle ?
“Pourquoi ?
– Avant je savais. Maintenant, je ne sais plus.”
Y a-t-il une part d’inné dans la folie ?
Tilda Swinton (Eva) et Ezra Miller (Kevin) se tournent autour comme si l’un essayait de dominer, ou d’apprivoiser l’autre.
Tour à tour coupable et victime, Kevin se fait parfois complice des fautes de sa mère. Eva, plongée dans l’incompréhension, tente de débusquer le mal qui se cache en Kevin tout en gardant espoir de rencontrer un jour en lui le fils dont elle rêve.
A travers ses tours, Kevin cherche-t-il réellement à blesser sa mère ? Ne cherche-t-il pas de son côté le côté maternel dont il a manqué plus jeune ?
Dans ce film remarquablement interprété, on ne sait finalement lequel contribue le plus à construire la folie de l’autre, ou de soi-même. Des deux côtés, on ressent cette façon insensée de penser, et pendant un moment, on s’attend à un retournement de situation, un événement qui viendra bouleverser l’ordre de l’histoire et et fera basculer le film dans une voie de sauvetage.
De l’ordre au désordre, du désordre à l’ordre
Le film se construit à partir de flash-backs pour édifier peu à peu le présent, l’après drame, et la fin de la réflexion d’Eva. Alors que les images s’ordonnent et se concentrent sur le point où elle pense obtenir une réponse à cette vie, de l’autre côté, la folie perd ses raisons.
We need to talk about Kevin pose de nombreuses questions : peut-on imputer les actes d’un fils à sa mère ? Trouver des causes des sentiments est encore possible, mais des actes ? Aimer par delà l’impardonnable ? Aimer le bras destructeur que l’on a soi-même enfanté ?
« Quel est l’intérêt de tout cela ? – Il n’y en a pas. C’est ça l’intérêt. »
Et si la folie était cette faculté d’aller au pire comme au meilleur sans se soucier du pourquoi ni des conséquences pour soi et pour autrui, sans même en avoir conscience ? Et si.. et si la folie n’avait ni cause ni but ? Et si ce qui fait qu’on pardonne la folie était le fait qu’on puisse la distinguer, pour toutes ces raisons, de la perversité ?
On ressort de ce film la tête pleine de questions, secoué, malmené et étrangement, l’esprit clair et très ouvert. A revoir (sans avoir bu de café).
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*Il s’agit de la fête nommée Tomatina, qui a lieu tous les ans du côté de Valence dans un village. Cette fête a pour origine une histoire de bagarre entre jeunes, datant de 1945. Les espagnols revivent ce combat chaque année en se bataillant pendant quelques heures à coup de tomates pourries, baignant allègrement dans des piscines de jus rouge vif.
** Ce fim est une adaptation du livre de Lionel Shriver, disponible en poche chez J’ai lu.
Et Franklin le père ? L’enfant se construit par le langage et il advient à ce langage grâce à la parole de la mère, cette parole qui trouve sa source dans le désir que cette femme ressent pour l’homme/père. Sans cette parole pas de mots de l’enfant. L’homme supporte la place du père, alors l’enfant s’inscrit dans la chaîne humaine.
C’est l’histoire humaine de la transmission.
Cette mère n’est pas tombée de l’arbre à sa naissance par distraction. A moins que l’auteur croit que les enfants naissent dans les choux, euh dans les roses pour les filles. Je taquine comme dirait Gad ! L’auteur a-t-il déjà entendu parler de Freud et de Lacan ?
Cette femme/mère a forcément un p’tit bout de famille quelque part; cet homme/père a lui aussi un p’tit bout de famille quelque part, même si leur mémoire respective est inconsciente, pas « même si » d’ailleurs; mais surtout.
Ca marche aussi dans les couples hommes/hommes et femmes/femmes parce que désir il y a. Je précise car souvent les psychanalystes sont considérés dans leurs écrits comme homophobes ce qui est faux. Souvent cela permet aux détracteurs de la psychanalyse d’éluder le travail de recherche et d’analyse. L’analyse de l’histoire d’une personne est passionnante, la littérature nous en donne tant d’exemple.
Toutefois, n’ayant pas vu le film je ne voudrais pas non plus m’enflammer à travers et à tort peut-être, comme je le fais souvent.
Il y a beaucoup de livres passionnants qui traitent du langage, de la folie meurtrière: en cours de lecture : un livre de Jean-Pierre Lebrun « La perversion ordinaire- Vivre ensemble sans autrui » et j’ai lu « un homme sans limite » du même auteur. Sans avoir vu le film, je ne crois pas être tout à fait à côté de la question.
J’espère ne pas être trop désagréable dans le ton, ce n’est pas le but recherché, d’autant plus que ce film a au moins l’avantage et l’intérêt de susciter le débat sur des questions cruciales et c’est bien là l’essentiel.
Je vais aller le voir ☺
Anne
Belle critique du film. Le role de la mère a l’air très intriguant, tout comme le visage de cette actrice, a la fois très pâle et extra-terrestre.
J’ai tellement envie de savoir ce que ce jeune homme a commis de si irréparable que je le regarderai surement d’ici peu ! 😉