« Existe-t-il expérience plus forte que de vouloir peindre une odeur ? ». C’est l’interrogation d’un de vos personnages. Ne peut-on pas considérer qu’en tant qu’écrivain vous cherchez à peindre avec des mots ? N’est-ce pas aussi fort, aussi difficile ?
En particulier dans ce roman-ci puisque l’obsession de l’un des personnages (Simon Black) est la peinture. Et pour rendre compte de sa quête esthétique, il fallait que je recrée son univers artistique, ses visions, son cheminement d’artiste peintre. J’ai voulu exprimer ses difficultés face à son art : oui, les plus grands ont été capables de peindre un cri (Munch, Bacon) ou une odeur (Rembrandt), ce qui nous paraît a priori irréalisable sur une toile. Comme le silence est difficile à rendre en littérature.
La maladie, au même titre que la folie, serait-elle une cause d’exclusion ?
L’altération du corps est un tabou. Et certaines maladies ont le privilège de véhiculer une bonne dose d’idées reçues – se reporter à l’ouvrage brillant de Susan Sontag La maladie comme métaphore dans lequel l’intellectuelle américaine analyse les préjugés liés aux maladies comme le cancer en décortiquant le langage.
Dans Les Éphémérides, deux personnages ont la phobie des maladies : le peintre Simon Black et Ecuador, qui deviendra son amante. Le rejet de leur propre corps que provoque cette peur de la souffrance et de la mort va être annihilé par leur rencontre, l’amour. Et l’imminence d’un grand bouleversement.
Avez-vous pensé à Munch pour esquisser le personnage du peintre, Simon Black ?
J’ai surtout pensé à Francis Bacon, également à Lucian Freud (j’aime leur obsession de la chair, le tourment qu’ils font subir au corps pour l’interroger, le pousser à dire l’indicible.) Ce sont les deux inspirations de départ puis j’ai taillé le personnage de Simon Black à mon idée. Le tableau Le Cri de Munch m’a interpellée, bien sûr. Il pourrait être à l’origine de la quête de Simon Black, à l’origine de l’ustensile qu’il invente pour ses expérimentations corporelles et artistiques…
D’ailleurs, pour cet ustensile plutôt… troublant, vous êtes-vous inspirée de l’instrument de torture utilisé sur Alex dans Orange mécanique ?
Orange mécanique est un texte fondateur pour moi. Même quand je l’oublie, mon inconscient y pense (…). De toute façon, on ne peut pas écrire sur la violence urbaine britannique sans retourner à ce texte. Et si j’ai inventé un nom générique pour la race mutante des canidés, les Dogs, c’est en référence à l’œuvre d’Anthony Burgess. Alex avait ses Droogs (ses compagnons de violence), dans Les Éphémérides Tara a ses Dogs…
La maternité préoccupe chacun des personnages, à des degrés et selon des modes variés. Quelle est selon vous la meilleure façon de laisser une trace de soi ?
L’œuvre d’art.
Donc pas forcément un enfant, même s’il peut-être une œuvre d’art pour certain(e)s ?
Non, tout le monde n’est pas obligé d’avoir un enfant, même si dans certaines société les femmes qui n’en ont pas sont traitées comme des parias.
Être parent, ce serait survivre à la mort ?
Non, mais nous sommes persuadés du contraire.
Pouvez-vous approfondir ? 😉
Qui aurait l’outrecuidance de vouloir survivre à la mort ?
Quant à l’idée qu’en faisant des enfants on « part mais pas vraiment», cela ne me semble pas respectueux des enfants qui peuvent éventuellement détester leurs parents et n’ont aucune envie de continuer à cohabiter avec eux.
« Nous ne sommes que des parents. On voudrait nous en empêcher, mais personne ne décidera pour nous. » (p. 92) Peut-on deviner un écho à l’homoparentalité ?
C’est une lecture intéressante. Il en est d’ailleurs question dans le roman, en filigrane. Alice qui partage sa vie avec une femme (sinon deux) devient une mère de substitution pour la petite Ludivine (9 ans). Le couple Tara Patty est également préoccupé par sa descendance mais d’une façon folle.
Il y a également la question de la « race pure ». Serait-ce que vos personnages se positionnent irrémédiablement du côté du mal, ou au contraire qu’une telle pensée pourrait être développée et mise en œuvre par des gens tout à fait… normaux ?
On a abandonné le concept de race pour parler des êtres humains – à l’exception de quelques barges lepénistes. Mais on ne cesse de travailler sur la génétique en biologie et avec les animaux (qu’ils soient consommables ou « de compagnie »). On continue de rechercher une pseudo pureté… (Regardez le nombre de races que l’être humain a créé chez le chien.) Et quand le concept de pureté obsède certains esprits perturbés comme Tara et Patty, on peut s’attendre au pire.
Etes-vous née à 16h ? Ludivine, c’est un peu vous ou sa date de naissance est une coïncidence ?
Ce n’est pas moi ! Je vous le jure ! Et pourtant, j’avoue que je suis née un 20 mars à 16 heures.
Propos recueillis par S. Joly
Retrouvez ici tous les articles consacrés à Stéphanie Hochet :
Entretien pour La distribution des lumières
Combat de l’amour et de la faim
Et le site internet de l’auteur :