La première chose qui saute aux yeux en regardant le travail de Pierre Gable, c’est qu’il possède un univers bien à lui. Un univers fait d’ombre… et de lumière bien sûr, puisque l’une n’existe pas sans l’autre.
Plus qu’un sujet, l’être observé par l’objectif du photographe est une réflexion. La manière dont il est mis en situation fait que l’ensemble évoque davantage une émotion, un état d’esprit, une pensée qu’un état des lieux et des corps.
Le moteur de Pierre Gable : la passion. Portrait, paysage, le photographe touche à toutes les textures, toutes les lumières, toutes les couleurs. Les teintes sont toujours puissantes, quel que soit le mode. En noir & blanc ou en couleur, le sombre et la lumière semblent s’être livré un combat dont il ne reste que le meilleur.
Découvrez Pierre Gable, le photographe qui se cache derrière les très belles couvertures de Stock Cosmopolite Editions.
Il a accepté de répondre à mes questions et c’est avec un immense honneur qu’il est accueilli dans les pages de Paris-ci la Culture pour ce qui est le premier entretien dans cette rubrique.
La photographie et vous, ça dure depuis combien temps ?
Depuis plus de trente-cinq ans ; j’ai commencé la photographie à 7 ans l’âge de raison, dit-on.
Quel matériel utilisiez-vous au début, et lequel aujourd’hui ?
Mon premier appareil était un Kodak Instamatic des années 60…
Gamin, je traînais dans le quartier avec mon appareil autour du cou et je photographiais les chats dans le terrain vague en face de ma cité HLM ; Aujourd’hui j’utilise des boîtiers Nikon (Nikon D2XS/D300S/) pour le numérique et pour l’argentique, j’utilise un « dinosaure » un moyen format MAMIYA RB 67 PRO S.
Je préfère utiliser des focales/objectifs fixes ce qui permet de « penser » ma photographie.
Quelles sont vos motivations ? La passion ? Le travail ? Un peu des deux ?
La passion, une passion dévorante ; je me réveille et m’endors avec des idées d’images, de mise en scènes, de rencontres, de voyages et de lieux à explorer.
Travaillez-vous également d’après commande ?
Cela m’arrive, mais ce ne sont pas vraiment des commandes, plutôt des lignes directrices ou des idées pèle-mêle (titres de chansons, textes, mélodies, résumés de livres etc.).
Quel est votre domaine de prédilection ?
La musique, l’illustration de livres, ce que j’aime par-dessus tout, reste le contact humain, les rencontres donc le travail de portrait.
A quoi pensez-vous pendant le déclenchement ?
A rien, je fais le vide, le seul moment de la journée ou je ressens une plénitude absolue, une sorte de moment suspendu dans le temps.
Retouchez-vous vos photos ?
La plupart du temps, je retouche mes images comme cela se fait depuis les tout débuts de la photographie. J’aime aussi le travail directement via le boîtier et j’utilise la surimpression d’images avec mes boîtiers Nikon et mon Mamiya ; cela me permet de « mélanger » deux images au sein d’un même lieu/espace temps. Il m’arrive aussi de ne rien retoucher sur une image, je ne fais aucune retouche (lissage, gommage) sur mes portraits…
Quels sont vos maîtres ?
Sally Mann, Diane Arbus, William Klein, Ronis, Elliot Erwitt, Peter Henry Emerson, je suis très impressionné par le travail pictural et les mises en scènes de Gregory Crewdson. Le grand maître est pour moi Edward Steichen (1879-1973), ce grand monsieur a tout vu avant les autres et a inventé la photographie du XX ème siècle.
En fait, tous les grands photographes sont inspirants, j’avoue avoir une prédilection pour les photographes américains.
Parlez-nous de vos plus belles expériences de photo…
Toutes mes rencontres photographiques sont de belles expériences, l’expérience qui m’a le plus marqué restera le travail avec les personnes en fin de vie lors de séances photos au sein d’une maison de retraite accueillant des malades Alzheimer.
Les personnes âgées en institution portent sur leur image un regard négatif, elles perdent leur estime d’elles-mêmes, (souvent elles n’ont plus de miroir) cependant, elles aiment se laisser prendre en photo et découvrent leur portrait avec étonnement et un réel bonheur.
La couverture de Purge roman de Sofi Oksanen est une belle histoire, Marie-Pierre GRACEDIEU éditrice et directrice de la collection Cosmopolite chez Stock a choisi cette image parmi d’autres proposées ne connaissant pas l’histoire de cette photographie prise au cours d’une discussion avec une personne âgée d’origine Tchèque qui évoquait avec moi ses douloureux souvenirs de déportation.
Il arrive quelquefois que des choses surprenantes voire surnaturelles se passent lors d’une séance photo. Je me souviens notamment de cette odeur de parfum de femme que nous avons senti le modèle et moi dans une maison abandonnée du sud de la France « La villa Chedid »
La photo de l’ouvrage de Maria Angeles Anglada, c’est donc vous. Avez-vous lu le livre ?
Oui bien sûr, Le cahier d’Aram est un livre magnifique, un texte assez sombre mêlé de poésies.
Marie-Pierre GRACEDIEU directrice de la « Cosmopolite » me fait confiance depuis quelques années et puise dans mon stock de photographies en fonction du ou des thèmes abordés dans les romans. Une liste des ouvrages illustrés :
– La malédiction de Jacinta Lucía Puenzo,
– Purge de Sofi Oksanen,
– Le gout amer de la justice – Antonio Monda
– Leçons de conduite Par Anne Tyler,
– Confessions d’un gang de filles de Joyce Carol Oates,
– So much pretty de Cara Hoffman (mars 2012)
Vous est-il arrivé de refuser quelque chose ?
Des mariages, baptêmes, bar-mitsva et autres événements familiaux, ce n’est vraiment pas mon truc, mais lucratif il paraît…
Quelles sont vos conditions idéales pour faire une série photo ?
Juste avant le coucher du soleil, ces instants magiques où la lumière décroît.
Quelle est, selon vous, la photo du XXème siècle ?
Edward Steichen – Marion Morehouse (Masque de Wladyslaw Theodor Benda), 1926
Propos recueillis par S. Joly
Retrouvez les photographies de Pierre Gable sur son site :
http://pierre-gable.fr/