Autour de moi, de Manuel Candré

Compter avec la mort

 

Premier roman de Manuel Candré, Autour de moi est le récit d’un garçon qui se construit dans la violence. La vie peut être violente de plusieurs manières par soi, par les autres, par ceux qui nous élèvent, ou tout à la fois. En lisant l’histoire remarquablement écrite de ce jeune garçon, on craint à chaque instant de glisser vers la perversité et le révoltant rencontrés dans la trilogie des jumeaux de Agota Kristof. Mais il existe une barrière invisible qui nous maintient tel un funambule sur son fil, entre le réel et l’imaginaire.

« Mon chien et ma mère se ressemblent.

Ils font les mêmes crises d’épilepsie sur le tapis

de la chambre ou sous la table de la cuisine ». p. 14

Le jeune garçon perd très tôt sa mère. Il est élevé par un père alcoolique, violent, imprévisible, et par ses grands parents, sa grand-mère surtout qui élève des poules. Il y a la maternelle, puis plus tard, l’université. Il y a les départs du père, le soir tard, qu’on voudrait empêcher, et les retours qu’on voudrait éviter. Mais ce qu’on retient assurément c’est ce sentiment de mort qui jalonne la vie qui se façonne.

« Je me demande quand l’univers va se prendre à fondre ».

C’est peut-être avant tout un livre sur l’apprentissage de tant de choses : la perte, le deuil, le meurtre, les conséquences du geste, l’élimination, et l’élévation. Il y a ce moment où on culpabilise de n’avoir pas pris un verre de jus de carottes, comme si ça pouvait sauver de la mort celui qui vous le propose. Ensuite le moment où l’on croit avoir assassiné une poule, où la culpabilité pointe encore le bout de son nez. Vient enfin le moment où l’on fracasse une vie, furieux de voir que l’autre en est incapable malgré sa hauteur et sa longue vie d’expérience.

« Etre ivre, de gauche, si possible impulsif, tout ça… » p46

Il y a surtout les souvenirs qui s’effacent puis qu’on reconstitue peu ou mal, trop ou illusoirement. Selon le sentiment que l’on éprouve pour des êtres disparus, le souvenir peut basculer de l’autre côté, devenir moins douloureux ou au contraire diffuser davantage de poison. Il est séduisant de s’imaginer qu’Autour de moi serait comme un journal d’écriture du roman, parfois des notes destinées peut-être initialement à être romancées et qui finalement seraient restées telles qu’à leur naissance, car elles n’auraient pas supporté un autre travail sur elles-mêmes. Le travail se fait ailleurs, en amont, aux confins de la mémoire.

Un roman court, sous forme de journal, qui contient tout à la fois naïveté et colère, douleur et sagesse. Hautement recommandable, et surtout remarquable pour un premier roman.

Autour de moi, Manuel Candré, Editions Joelle Losfeld, Août 2012, 99 pages, 11,90 Euros.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.