Les immortelles, Makenzy Orcel

Les immortelles, ce sont ces femmes qui se condamnent à devenir invisibles le jour et putains lumineuses la nuit, dans les rues de Port-au-Prince, à Haïti. C’est l’histoire de femmes qui s’offrent en échange de quoi loger, vivre. Ce sont ces corps devenus objets de quêtes désespérées :  quête de la jouissance, de la mère, de la liberté.
C’est aussi une redoutable mise en abîme : Makenzy Orcel a choisi de laisser la narration de son premier roman à ces putains soucieuses de déposer leur récit entre les mains d’un écrivain.

«Une ville sans putes est une ville morte.»

Dans ce témoignage à l’allure un peu brute semblent se succéder trois voix : celle de la putain protectrice, qui a tout enseigné à sa protégée «la petite» et qui éprouve le remord des femmes qui auraient voulu se comporter en mère. Il y a la mère, qui cherche sa fille et donne son corps pour tenter de la retrouver. Puis il y a Shakira, au coeur de ce séisme maternel, éprise de liberté, d’émancipation, qui donne son corps contre la volonté du ciel, pour qu’un peu de terre lui appartienne, et qui, on le découvre très vite, est victime du séisme d’Haïti, écrasée par les éléments, coupée dans son élan de vie.

«On a pas besoin d’une mère pour aller au bout de ses rêves. On a juste besoin de soi-même, intégralement soi-même. Je pense que je vivrais mieux si ma mère était déjà morte, enterrée.»

Dans ces mouvements inversés où chacune tente de survivre en fuyant, en poursuivant, en ressassant, en regrettant, il y a de la foi et du désespoir mêlés. Il y a une lucidité en marge. Il y a de l’abandon, mais aussi une volonté de fer. Il y a de ces êtres empêtrés dans la misère, et rattapés par un tragique insondable, qui semble encore irréparable aujourd’hui.

Ce récit rapporté à la première personne crée parfois le malaise, amplifie la proximité, nous rapproche des drames, personnels ou collectif. Ce n’est pas un récit sur le séisme, ce n’est pas un simple témoignage. C’est une sorte de prise de parole, un portrait aussi, une ascension vers la destruction, une histoire morcellée que l’esprit doit reconstituer naturellement au fil des pages. Mais avant tout : c’est un hommage.

On ne peut que saluer l’audace de Makenzy Orcel, qui pour son premier roman s’est installé dans la peau des putains de Port-au-Prince avec élégance, bien loin de la vulgarité et des clichés dans lesquels d’autres seraient peut-être tombés. Bravo.

Les immortelles, Makenzy Orcel, Zulma, Août 2012, 144 pages, 16,50 €

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.