Au début, Eugène est ouvrier chaudronnier. Il vivote grâce à de belles commandes, dont le premier gagnant est d’abord son patron. De fil en aiguille, et de circonstances en rencontres, il se découvre une passion pour la peinture, qu’il approfondit le jour, d’abord par plaisir, et ensuite sur commande. La nuit, il joue au furet, guidant de riches étrangers vers des spectacles exotiques et macabres.
Eugène et ses amis Paco, Vieux Gars, Fifine, Rirette pour ne citer qu’eux, évoluent dans ce Paris de 1900 en plein essor, où la peinture, la littérature, la sculpture et le théâtre sont des valeurs à la fois nobles et populaires. On observe ce petit monde tantôt par la voix d’un narrateur omniscient, tantôt directement de la bouche d’Eugène, qui nous raconte son évolution, son parcours, sa chance de grimper les «échelons» de la société plus par heureux hasard que par réelle ambition.
Voici donc une petite troupe, et surtout un homme, qui évoluent dans, et par la culture parisienne, des petites sphères aux grandes, du burin à chaudron au musée de Rodin, du petit bordel au palais du Louvre. Mais tout n’est pas si rose, et le personnage d’Eugène ne serait pas si intéressant s’il n’était si sensible et si galant. Le roman n’aurait pas tant de charme si les péripéties transversales de son histoire personnelle ne le menaient pas tout droit vers la Veuve, qui fera de lui et malgré lui un artiste abolitionniste reconnu pour sa capacité à capter l’émotion de tous, partisans de la peine de mort compris.
Le roman n’aurait pas tant de charme non plus s’il ne mélangeait pas aussi savoûreusement le langage argotique, ici délectable et drôle, à une poésie, un
rythme et un phrasé à séduire tous les sexes et tous les âges.
«La vie m’avait balloté, propulsé vers une célébrité qui ne me semblait pas méritée.
Mon envie de peindre était née de l’oisiveté, et mon succès de mon dégoût !» p. 152
Gérard Landrot nous embarque au travers d’une, ou peut-être deux décennies à peine – on ne le sait pas bien, car dans l’instant, le temps n’a pas d’importance – et rythme cette tranche de vie avec des événements qui vont du coup de foudre amoureux à une jeunesse défigurée, de la découverte de l’art à celle, plus lugubre, de la peine capitale comme spectacle vivant du petit et du grand peuples parisiens.
Sa langue est digne des grands classiques du XXème siècle, son art de la narration est absolument fabuleux. En un instant, on est happé par cette histoire qui finit soudain – mais le personnage l’ignore cruellement, et plus cruelle encore est l’observation que l’on fait de cette ignorance – à l’aube du plus grand conflit mondial, et l’on aura rien vu venir, enchantés que nous étions de retrouver une époque trop longtemps disparue de la littérature contemporaine. La rose et le patchouli nous déplace temporairement le temps d’apprendre que l’on ne peut rien prévoir de l’avenir : ni le meilleur, ni le pire.
La rose et le patchouli, Gérard Landrot, L’Editeur, 224 pages, octobre 2012,16 euros.
Merci pour cette critique qui m’a donné envie de lire ce livre…
Epoustouflant, un style à tomber, je ne l’ai pas lâché du week-end. Un vrai talent de narrateur et cette belle alternance des visions entre le personnage et le narrateur. L’auteur que je ne connaissais pas est une vraie plume, c’est fin, savoureux, jamais ennuyant. On suit les aventures d’Eugène le sensible à ses côtés. Celui qui a écrit ce livre est un grand, un très grand de la littérature. Du coup je cours acheter le premier roman sur le Paris de l’occupation.
A la fin, on a envie de connaitre la suite.
Merci pour ce commentaire qui me fait très plaisir. C’est en effet un de livres mis à l’honneur pour l’année 2012 sur ce site. Une très belle découverte. Je me permets de faire passer votre commentaire à l’éditeur. Bon dimanche !