David Nathanson est en quelque sorte l’Elu. Et même s’il s’est auto-élu pour incarner à la fois Max Schultz, Itzig Finkelstein, leur famille et toute la troupe de personnages contenue dans le livre. C’était inévitable, nous devions lui poser quelques questions auxquelles il a répondu avec magesté.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant Le Nazi et le Barbier ?
J’ai suivi une formation au cours Florent auprès d’ Isabelle Nanty, Christian Croset ou encore Philippe Berling.
J’ai travaillé ensuite sur plusieurs spectacles avec Justine Heynemann (« Bakou et les Adultes », « Les Cuisinières », « Le Misanthrope »), avec Tatiana Werner une première fois (« Le Silence »), avec Yann Reuzeau (« Puissants & Miséreux »), avec la Compagnie Eclat d’Etat…, pour des spectacles jeune public également.
Toutes ces expériences, souvent passionnantes, m’ont malgré tout donné envie de ne pas être un simple comédien au service des autres, mais de créer mes propres projets.
Il y a eu en 2012 une lecture publique d’un texte que j’ai écrit « Plutôt coucher avec Isadora Duncan ».
Et aujourd’hui « Le Nazi et le Barbier », que j’ai adapté et que je joue seul-en-scène sous la direction de Tatiana Werner.
Comment avez-vous découvert Edgar Hilsenrath ?
Au départ, c’est un livre dans une librairie : « Fuck America ». J’adore passer du temps dans les librairies et me laisser guider par les couvertures, les titres. Le titre « Fuck America » est assez éloquent pour qu’on ait envie d’en savoir plus. Et le travail d’Henning Wagenbreth qui dessine toutes les couvertures des bouquins d’Hilsenrath pour les Éditions Attila est magnifique.
Dans l’ensemble, je trouve qu’on est rarement déçu par une belle couverture.
Après « Fuck America », j’ai eu envie de lire la suite de l’œuvre d’Hilsenrath. « Le Nazi et le Barbier » (quel titre encore !) m’a fait de l’œil, d’autant plus que j’avais entendu une amie en dire le plus grand bien.
Avec Hilsenrath, j’ai eu l’impression de découvrir un grand-père un peu rock’n’roll qui se serait octroyé le droit de dire tout ce qu’on ne dit pas dans les bonnes familles. Le grand-père indigne qui pète pendant la Bar-Mitzva de son petit fils. Comme je n’en avais pas un comme ça dans ma famille, je m’en suis fait un grand-père putatif.
A quel moment avez-vous su que vous vouliez adapter Le Nazi et le Barbier ?
Très exactement dans le train qui me ramenait du Festival d’Avignon l’été dernier. J’étais en train de finir le livre et j’en étais au passage où le héros Max Schultz essaie désespérément de trouver une prostituée à Tel-Aviv pour assouvir ses besoins sexuels. La scène était tellement drôle et avait un côté tellement théâtral, qu’il m’est apparu comme une évidence que je devais m’atteler à l’adaptation.
Parfois il suffit de pas grand chose pour donner une impulsion. Cette scène-là a été le déclencheur.
Et puis honnêtement, j’avais aussi envie d’impressionner ma petite amie…
C’était un projet très ambitieux, comment vous sentez-vous, maintenant que c’est une réussite ?
Vous imaginez bien que la fin de votre question me réjouit… Je me sens comme au début d’une belle aventure. Pour l’instant, les retours sont très bons mais le spectacle vient à peine de débuter. J’espère qu’il va s’inscrire dans le temps et que j’aurai la possibilité de le montrer à un public de plus en plus large. Je découvre que beaucoup de gens connaissent ou ont entendu parler d’Edgar Hilsenrath. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est que ceux qui ont lu le livre, ne semblent pas être déçus par l’adaptation que j’en ai faite et par le travail que nous avons mené avec ma metteuse en scène Tatiana Werner. Et ceux qui ne le connaissaient pas me disent qu’ils ont maintenant envie de le lire.
Quelle a été la plus grande difficulté ? Car il s’agit d’un roman énorme, et le ramasser en 1h30 de scène est un travail titanesque..
Le plus dur a été de se résoudre à abandonner tout un pan du roman. Quand vous adorez un livre et que vous savez qu’il va falloir faire des choix drastiques, c’est un peu un crève-cœur. Mais je savais aussi qu’un roman n’est pas écrit pour la scène et qu’il y a forcément des passages qui sont moins théâtraux que d’autres.
Comment se sont opérés vos choix de textes ?
Dans le roman, il y a trois parties.
Une première qui part de l’enfance de Max Schulz et qui se conclut avec la fin de la deuxième guerre mondiale.
Une deuxième dans laquelle Max essaie de se cacher, fait des rencontres improbables, se refait grâce au marché noir et endosse l’identité de son ami mort Itzig Finkelstein.
Et une troisième qui commence avec son départ en Palestine et raconte toute sa vie en Israël.
J’ai volontairement mis de côté la deuxième partie qui fait la part belle à de nouveaux personnages (passionnants dans le livre), mais qui m’éloignaient un peu de Max Schulz.
Pour le reste, je me suis fié à mon plaisir de lecteur. Et puis l’adaptation m’était directement destiné puisque je savais dès le début que c’est moi qui interpréterais tous les personnages. Je me suis donc servi au gré de mes envies de comédien, ce qui est un luxe assez incroyable.
Avez-vous pensé à l’adapter pour plusieurs personnes ou le fait de devoir « condenser » l’oeuvre a-t-il été un vecteur déterminant pour le choix du monologue ?
Le monologue m’a paru assez évident d’emblée. Si j’avais disposé du Palais des Papes et d’un budget pharaonique, peut-être que j’aurais eu envie d’une distribution pléthorique, mais honnêtement je ne crois pas que le spectacle y gagnerait. L’avantage du monologue est qu’on a une proximité permanente avec le personnage de Max Schulz. On pourrait même d’ailleurs imaginer que tous les autres personnages ne sont que des émanations de son cerveau dérangé.
Et puis, là encore, il y a un vrai plaisir de comédien. Je n’ai pas tous les jours la chance de pouvoir interpréter des personnages aussi hauts en couleur, je n’allais certainement pas m’en priver.
Qu’est-ce qui vous a touché dans l’oeuvre d’Hilsenrath ?
J’ai une vrai interrogation autour de ce qu’on appelle communément « Le devoir de mémoire ». Je ne remets absolument pas en cause le fait de devoir parler de la Shoah pour ne pas oublier. Et des gens comme Primo Levi ou Claude Lanzmann ont fait là-dessus un travail considérable et probablement indépassable. Mais je vois ou lis souvent des œuvres autour de ce sujet qui émeuvent souvent, mais questionnent assez peu. Et une fois qu’on a dit que les Nazis étaient les méchants et les Juifs les victimes, on n’a pas dit grand chose.
Il y a chez Hilsenrath (en tout cas dans Le Nazi et le Barbier) une force dévastatrice qui embarque tout sur son passage. Une vitalité assez inhabituelle sur un tel sujet. Et surtout un humour incomparable.
En fait j’ai l’impression qu’être capable de rire de la Shoah permet à Hilsenrath (et à moi-même petit-fils de juifs polonais) de perdre le statut de victime et d’être plus fort que les bourreaux.
Plus largement, je suis persuadé qu’Hilsenrath est un grand écrivain à la hauteur d’un Philip Roth ou d’un Bukowski et que son style est au moins aussi fort que les sujets qu’il traite.
Comment considérez-vous l’homme ? L’avez-vous rencontré ? Approché ?
Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer. Il sait que je joue actuellement une adaptation de son roman et je rêve de voir ce petit monsieur moustachu venir me saluer après une représentation.
Peut-être faudrait-il que j’aille jouer à Berlin pour le voir.
J’ose espérer en tout cas, qu’il serait fier de voir son roman incarné sur une scène de théâtre.
Comment trouvez-vous l’accueil du public ?
Avant la première, je me demandais comment réagiraient les gens. J’imaginais que certains seraient peut-être choqués. En fait, l’accueil est très chaleureux. Mais les réactions sont très différentes selon les soirs.
Lors de certaines représentations, les gens rient beaucoup. Parfois pas du tout. Et parfois j’entends des rires coincés dans la gorge. Ou des remarques comme « oh non, quand même…. ».
J’ai l’impression que les plus jeunes sont moins gênés de rire de ce sujet. La génération de mes parents me paraît plus émue et donc moins encline à rire.
Mais globalement, les gens découvrent ou redécouvrent un auteur et un texte et semblent y prendre un grand plaisir.
Parlez-nous de vos autres projets….
En parallèle du « Nazi… » je joue en ce moment dans un « Bourgeois Gentilhomme » ou j’interprète Dorante et le Maître de Philosophie, ce qui me change un peu de Max Schulz.
« Le Nazi et le Barbier » étant au tout début de son exploitation, je n’ai pas encore eu le temps d’imaginer d’autres projets, mais je pense que le prochain se fera avec d’autres comédiens et probablement autour d’une écriture contemporaine au moins aussi vivante que celle d’Hilsenrath.
Et il est vrai que je retrouve plus souvent cette vitalité dans des romans que dans des pièces de théâtre.
…de vos autres lectures également.
Un de mes auteurs fétiches est Wallace Stegner. Pour le coup on est très loin d’Hilsenrath. C’est une écriture en apparence beaucoup plus simple mais dont la sincérité et l’humanité me touchent énormément.
Un des derniers livres a m’avoir marqué, c’est « Le Journal d’un corps » de Daniel Pennac. Je m’étais pas mal éloigné de cet auteur que j’avais beaucoup aimé à l’adolescence, mais il y a dans ce roman quelque chose de très original et surtout d’absolument essentiel. C’est vraiment un grand livre. Il y aurait peut-être d’ailleurs quelque chose à en faire sur scène…
Propos recueillis par Stéphanie Joly
LE NAZI ET LE BARBIER
David Nathanson (Acteur)
Tatiana Werner (Metteur en scène)
Anaïs Souquet (Lumières)
A la Manufacture des Abbesses
jusqu’au 27 février.
Tous les jours à 21h sauf jeudi, vendredi et samedi.
Plein tarif : 24 euros
Tarif réduit : 13 euros
Adresse : 7 Rue Véron – 75018 PARIS
TEL : 01 42 33 42 03
Site internet pour la réservation.
Retrouvez ici l’article consacré à la pièce.