On est en droit de se demander ce que pouvait bien espérer ce dresseur décédé la semaine dernière à Mexico. Comme son sinistre métier l’indique, il fomentait certainement quelque projet de domination sur le tigre du Bengale qui l’a « sauvagement » mordu à la nuque. La question n’est peut-etre pas de savoir si l’on peut reellement apprivoiser/dompter/ domestiquer un tigre, mais plutôt pourquoi désire-t-on le faire. Dresser, du latin directiare « mettre droit, redresser » implique chez l’homme, à l’égard de la bête, de le former à une certaine image. Dans les faits, et quand bien même beaucoup prétendent à une certaine complicité avec leurs animaux, il ne s’agit au contraire que d’abaisser, de soumettre à la volonté de l’homme ce qui pourrait être naturellement considéré comme un égal à respecter, si l’on n’avait pas peur de cette puissance, et de cette étrangeté. Toujours dominer, dompter ce qui est différent. Voilà le propre de l’homme.
On est en droit de se demander ce que pouvait bien espérer le public du cirque, qui tout de suite après la catastrophe s’est rué dehors, dans le désordre, paniquant à tout va, choqué finalement : un tigre dévorant la tête de son « maître », traînant celui-ci d’un bout à l’autre de la piste. Au moins un des spectateurs a eu l’esprit assez vaillant/tordu pour filmer la scène.
Mais enfin : s’il n’y avait pas ce danger extrême de voir le dévoreur dévoré, quel serait l’intérêt du spectacle ? Ou bien les gens viennent-ils, blasés, voir le risque sans plus penser que le risque est réel, contrairement au cinéma.
On peut légitimement penser que c’est le tigre qui va trinquer, dans tous les cas. Il ne s’est pas laissé dompter, et sera sans doute euthanasié : et puis, même si l’on n’est plus à l’époque des païens, des sacrifices, des superstitions, il faut bien punir le coupable, et lui ôter le goût du sang qu’il a goûté. On se souviendra de cet éléphante (nommé Tyke) échappée d’un cirque aux Etats-Unis. L’animal, devenu fou en cage, cherche à retrouver sa liberté dans les rues de la ville : il sera abattu de plusieurs dizaines de balles.
Il y a deux types d’hommes : celui qui tente de soumettre, celui qui tente d’être libre. Généralement, les deux se détestent, c’est bien connu. Je ne pense pas qu’un homme puisse s’occuper très fort à ces deux taches simultanément, deux modes de vivre en société radicalement opposés.
Sylvain Tesson est de ceux qui courent après la liberté, et ne comprennent d’ailleurs pas qu’un homme puisse vouloir priver quelqu’un d’autre de cette denrée de plus en plus rare. Pour cela, il sillonne la planète à l’infini. Ce qu’il ramène ? Ses réflexions, des dizaines de notes, des témoignages de ses échanges avec des gens qui ne vivent pas comme nous, occidentaux.
Et la littérature dans tout cela ? D’un côté, Sylvain Tesson en emporte à chaque voyage. De l’autre, Hilsenrath prouve, avec Le nazi et le barbier, que l’on peut incarner l’un tandis que l’on joue l’autre : on peut avoir vécu dans un ghetto pendant la guerre, avoir risqué de mourir sous le joug nazi plus d’une fois, et se glisser ensuite dans la peau du bourreau, pour mieux s’en moquer. Il semble même que cette dualité ne soit possible que dans le jeu littéraire : là, on peut avoir été traqué, et pourchasser. Tout est permis. On est libre.
Sauf si… comme Pia Petersen l’imagine, la télé-réalité s’en mêle…
Découvrez un numéro presque entièrement consacré à la liberté, v oici PILC MAG N°13 !
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