
Au-delà de ce qu’Anthony Poiraudeau tente de décrire avec un pragmatisme appliqué, on découvre l’ampleur du saccage, ses causes, ses conséquences mais aussi ce qu’il implique à l’échelle mondiale : cette occupation disproportionnée de l’espace ne peut laisser indifférent au regard des populations hantant les rues du monde entier, à la recherche d’un logement. Néanmoins, ce n’est pas le sujet premier du texte, qui raconte en plusieurs étapes ce saccage urbain orchestré par les mafieux de l’immobilier, ici espagnols. La première partie est tout simplement soufflante : l’auteur y rappelle le mécanisme outrancier qui a conduit l’Espagne où elle en est aujourd’hui. En résumé, comment le regain économique de l’Espagne des années 90 à servi de vague à un mouvement de construction massive lancé par des promoteurs inconséquents et appuyé par des banques qui ont immanquablement dépassé les bornes du raisonnable. Cela donne, en gros, un élan permettant à la fois la baisse du chômage par une masse importante d’embauches dans le BTP, un regain d’intérêt pour l’achat de la pierre et l’investissement immobilier, dit sur le moment «investissement dépourvu de danger», cela met en scène la vaste supercherie des terrains agricoles transformés en terrains constructibles à coup de pots de vin : ceci impliquant forcément un levier de plus-value conséquent, lui, pour les promoteurs. Ce chapitre montre à quel point il a été facile, grâce à l’appui des banques également, de faire plonger les ménages dans un surendettement monstrueux. Personne, semble-t-il, n’avait pensé qu’un jour l’offre de biens surpasserait de manière titanesque la demande, et surtout les besoins du pays. Le phénomène a bien entendu entraîné dans son sillon le renversement inévitable de vapeur que l’on connaît : arrêt des constructions, licenciements massifs, hypothèques et saisies immobilières par les banqes, elles-mêmes acculées, etc…
L’un des maîtres d’oeuvre du désastre est fortement épinglé dans le livre : Francisco Hernando, dit El Pocero. Pendant que les espagnols perdaient tout, lui, s’est passablement enrichi sans aucune pitié, allant jusqu’à ériger une ville fantôme en son propre honneur.
Si Projet El Pocero est un essai, il renferme à sa manière une sensibilité et une intensité des plus poignantes. Une dimension tragique et un sentiment de désolation habitent cette oeuvre d’utilité humaine. Un livre nécessaire, éclairant.
Projet El Pocero, Anthony Poiraudeau, Inculte, 156 pages, 13,90 €