Ici la mémoire du personnage s’apparente à celle d’un ordinateur dans lequel il faudrait aller piocher, fouiller, procéder à des recherches complexes. Nous ne sommes pas si différents des machines que nous avons créées, nous dit Anne-Marie Garat, qui s’éloigne de ce à quoi elle nous avait habitués en s’appropriant le langage technologique d’aujourd’hui. Mais elle ne s’éloigne pas tant que cela dans le fond, creusant comme de coutume les images et les paysages, les sentiments humains et leurs relations si passionnantes.
Le récit va et vient entre le passé et le quotidien, ponctué celui-ci par ce qui fait notre société aujourd’hui : le mouvement des Anonymous, les rafles de Roms et la violence traversent ainsi le roman et viennent marquer le personnage principal au visage, l’impliquant malgré lui, alors qu’il se contentait jusque là de faire des provisions de riz basmati dans sa cave.
Comme à son habitude aussi, Anne-Marie Garat a su créer des personnages secondaires plutôt hauts en caractère, venant accentuer celui de Jason, plaque tournante d’un roman qui aurait tout aussi bien pu se contenter de lui comme d’une pièce unique, à huis clos. Au lieu de le destituer, ces secondes figures rendent à Jason cette sensibilité peu commune. L’auteur fait de lui un personnage ambigu s’il en est, à mesure que l’on avance avec lui dans sa mémoire.
Programme sensible porte bien son titre : il est impossible de savoir où l’auteur nous emmène, tant elle y a dilué la délicatesse et la préparation raisonnables et nécessaires à l’aboutissement de l’histoire. Il convient de s’y laisser porter et de lui faire confiance, pour le meilleur et pour le pire.
Programme sensible, Anne-Marie Garat, Actes Sud, Février 2013, 256 pages, 19,50 €