
D’abord, comme il fallait s’y attendre, Urbs n’est pas constitué de phrases lisses et toujours achevées, construites selon les règles de l’art (quel art ? quelles règles ?). L’auteur s’interrompt, au moyen d’un Chevalier blanc qu’il fait semblant de ne pas avoir convoqué lui-même : ainsi le récit est entrecoupé par les interventions d’une sorte de double de l’auteur tentant de se ramener à plus de rigueur et de sobriété. En cela il faut bien avouer que Urbs est un roman quasi schizophrène. Raphael Meltz est fou ou fait semblant de l’être : peu importe. Seule compte l’écriture qui en découle, intense et subversive.
Il s’amuse avec lui-même, malmène l’attention de son lecteur – car interrompre l’écriture, c’est interrompre la lecture -, brise le pacte qui les lie, déjoue les règles du temps, du savoir et de la narration.
Ce qu’il a écrit ? Diable ! Un livre dans lequel il s’amuse à raconter un passé dans lequel il anticipe l’avenir comme étant le passé ; un récit fait de plusieurs récits imbriqués, dans lesquels il convoque treize personnages qu’il invente en partie et dont il fait semblant d’ignorer les surprises et les cachotteries.
Après tout : où peut-on mentir sans craindre un divorce, la prison, un suicide, le chaos ? Dans la littérature. C’est le seul endroit où l’on peut écrire sans avoir peur des murs.
«malgré tout, comme tous les romans,
ce livre doit faire semblant»
L’auteur se plaint ouvertement de l’explicite en littérature, de ces récits que l’on gobe et qui livrent tout de leurs mystères. Ce faisant, il nous livre pourtant les rouages de Urbs. La différence ? Urbs n’est pas un récit, n’a pas vraiment d’intrigue : il s’agit de treize personnes proposant à tour de rôle quelque chose pour sortir le monde de sa torpeur. Cela va de l’apocalypse… à la supercherie. Il fustige la modernité, tente de l’abattre… et invente par le même coup l’écriture subversive, quelque chose qui désire échapper à l’attention et au sens commun. Grâce à lui, on tient un nouveau mouvement littéraire. Qui est prêt à le suivre ?
«Pourquoi ne pas écrire un livre sur rien, vraiment rien, pas comme l’autre clown de Gugus Flaubert, un vrai livre sur rien, qui ne raconte rien, mais qui n’ait pas de style, qui ne soit rien, un refus de participer à ce grand cirque de l’écriture.» Raphaël Meltz a réussi sans le savoir peut-être l’écriture d’un livre sur rien qui dit l’essentiel. Il parvient à s’affranchir des règles pour réinventer une expression littéraire originale. C’est précieux, et nous lui sommes reconnaissants de s’être jeté dans cette rentrée avec un livre si atypique et osons le dire, touchant par son exigence et son intensité. C’est notre coup de coeur jusqu’à présent pour cette rentrée.
Urbs, Raphaël Meltz, Le Tripode, 240 pages, Août 2013, 16 €.