Provoc addict
De l’adolescence à ses cinquante ans, le parcours de Joe, auto déclarée nymphomane…
Est-il bien nécessaire de se concentrer sur l’aura sulfureuse du sujet et des images que nous propose Lars Von Trier à travers cette énième provocation ? Certains crient au scandale, d’autres au génie d’un rebelle et les autres parlent de gâchis. Lars Von Trier souffle une fois de plus le chaud et le froid avec ce conte pervers qu’il aurait lui-même censuré et scindé en deux parties distinctes, le film original jugé trop long à juste titre (environ cinq heures).
La narration dichotomique alterne le récit entre la crudité des propos de Joe et la tentative d’intellectualisation de Seligman. La froide poésie qui émane de l’ensemble contraste avec l’atmosphère brûlante de ce qui se déroule sous les yeux du spectateur tantôt hagard, tantôt amusé, et bien sûr souvent abasourdi. Pourtant, un certain humour jalonne le film tandis que le plan d’ouverture de la première partie dénote encore une maîtrise visuelle époustouflante de l’auteur, preuve qu’il peut faire bien plus que de l’érotisme de bas étage.
Mais l’aspect le plus intéressant relève d’une lecture en filigrane, imposant une vision bien différente et un second degré bien caché mais fort peu souligné depuis sa sortie. Car par le biais de Nymphomaniac ce n’est point l’histoire de son héroïne qui l’intéresse mais bel et bien l’histoire de son art et de son dévoiement. Citant allégrement sa filmographie tout du long de la rupture familiale d’AntiChrist au voyeurisme de Breaking the Waves, de la fantasmagorie de The Kingdom à l’ambiance eschatologique de Melancholia, Von Trier revient sur ses trente ans de carrière entre véritable sens de l’image et goût prononcé pour le cinéma choc. A l’image de ses deux protagonistes conteurs, il y a deux aspects chez Von Trier ; l’intellectuel du Dogme, poétique et religieux à l’image de Seligman qui a offert Element of Crime, Breaking the Waves, Melancholia ou the Kingdom. Et il y a le trublion fou à l’image de Joe, incontrôlable et ses films perturbants, Les idiots, AntiChrist et bien sûr désormais Nymphomaniac. Mais Nymphomaniac dans son propos questionne ; l’intellect peut-il sauver la perversion ou la perversion corrompre l’intellect. Ce à quoi le cinéaste répond dans un final aussi cynique que corrosif. Il interpelle aussi quand Seligman finit par conclure que la vie dissolue de Joe aurait été bien mieux acceptée si elle avait été un homme ; Von trier ne sous-entend il pas quelque part que la subversion dont il fait preuve aurait été beaucoup mieux accueillie pour d’autres réalisateurs. De Pasolini à Kubrick, bon nombre ont aussi choqué par le passé sans devenir pour autant persona non grata. La question que devrait se poser Von Trier aujourd’hui c’est plutôt a-t-il quelque à proposer en dehors de la provocation aujourd’hui.
Défaite d’un fond inexistant servi parfois par une forme réellement brillante, Nymphomaniac fascine autant qu’il agace par la vacuité de son propos. Au moins Von Trier continue de faire réagir preuve qu’il est toujours vivant. Qu’il parvienne maintenant à vivre différemment serait salvateur pour la suite de sa carrière….
Film danois de Lars Von Trier avec Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgard, Stacey Martin. Durée Vol 1 : 1h58 / Vol2 : 2h04. Sortie Vol 1 : 1er janvier 2014 Vol 2 : 29 janvier 2014