Le cardinal Dubois, « la Régence revisitée »

La période de la Régence a été stigmatisée par les mémorialistes, Saint Simon en tête, qui critiquaient  le libertinage effréné de la cour et les erreurs de politique étrangère: l’image de Philippe d’Orléans et de son mentor et ministre, le cardinal Dubois, en ont pâti. Si la figure du Régent a récemment été réévalué par Jean-Christian Petitfils (1990 tout de même), celle de Guillaume Dubois restait souvent ignorée, parfois brocardée, toujours mal connu (malgré un premier travail de Guy Chaussinand-Nogaret). Ce livre d’Alexandre Dupilet vient combler une lacune du genre biographique. Un mot cependant sur le sous titre : qualifier cette singulière figure de génie politique paraît abusif. Si son talent ne fait aucun doute, il faut réserver des épithètes comme « génial » pour ceux qui le sont vraiment (au hasard Napoléon ou, pour rester dans l’époque moderne, Richelieu). Cette remarque n’enlève cependant rien aux qualités d’un personnage dont la trajectoire méritait véritablement d’être revisitée.

 L’ascension d’un roturier

 Guillaume Dubois est né à Brive la gaillarde en 1656. Son père était apothicaire et  la famille s’était élevé grâce à la pratique de la médecine et aussi du droit. Dubois devint abbé, tonsuré sans avoir prononcé le vœu de célibat (ce qui n’est pas si inhabituel pour l’époque) et se fit remarquer par ses dons intellectuels au point de devenir précepteur pour des enfants de bourgeois et de nobles. Par ses relations, Dubois fut bientôt engagé comme répétiteur de grammaire pour le fils du duc d’Orléans, le duc de Chartres (futur Régent) puis il en devient le précepteur, avec l’accord de Louis XIV, en 1687. Le futur cardinal lie alors son sort à celui du neveu du Roi et sa fortune dépendra des aléas de la carrière de Philippe. Ce dernier est brillant, bien plus que la progéniture du grand Roi qui le marie à une des filles qu’il a eu avec madame de Montespan (les parents de Philippe y voient une mésalliance). Soupçonné d’intriguer, de comploter, en plus de sa vie de jouisseur invétéré (Louis XIV a oublié ses propres turpitudes), Philippe hérite cependant de la fortune et du rang de son père en 1701 et exerce des commandements militaires importants au cours de la guerre de succession d’Espagne. Après les deuils successifs qui frappent la famille royale, il se retrouve dans la position de futur Régent. Dubois, pendant ces années, ne fait pas que ronger son frein et remplit différentes missions diplomatiques. Lorsque Louis XIV meurt en 1715, personne ne se doute cependant du rôle qu’il va jouer.

 Renversement d’alliances

 En 1715, la France sort de vingt-cinq ans de guerres avec l’Europe et son seul allié est l’Espagne où règne le petit-fils de Louis XIV, Philippe V. Guillaume Dubois réussit en quelques années à nouer une première entente cordiale avec l’Angleterre et à bâtir un système dans lequel entre les Provinces-Unies et l’Espagne (après une courte guerre). Mine de rien, il réussit à bâtir une paix durable et à permettre à la France de se rétablir sur les plans économiques et démographiques. Pour y arriver, il bénéficie du soutien constant de son ancien élève Philippe d’Orléans et du ministre anglais James Stanhope. Réconcilier les ennemis d’hier et bâtir un tel système diplomatique nécessite une intelligence et un talent rare qu’il convient de noter.

 Le vrai visage de la Régence

 A travers cette biographie, c’est aussi tout un monde qui revit sous la plume d’Alexandre Dupilet, loin des images d’Epinal et de la légende noire. Ni le Régent, ni le cardinal Dubois n’ont été reconnus de leur vivant pour ce qu’ils étaient, de redoutables bêtes politiques. Une période de Régence signifie des risques de désordres, voire de guerres civiles : il en est allé ainsi de la Fronde sous Louis XIV. Rien de tel dans les années 1715-1723, malgré l’opposition du Parlement ou l’agitation janséniste. Le Régent et son ministre sont doués pour apaiser les tensions tout en maintenant l’autorité de l’Etat et, à ce titre, l’expérience des conseils de la polysynodie censée remplacer les ministères et les secrétaires d’Etat ne fut qu’un rideau de fumée, conçu pour endormir la méfiance de la vieille cour et ménager la susceptibilité des princes du sang. Dubois eut aussi à affronter le fameux John Law mais la faillite du système financier de ce dernier empêcha la querelle de dégénérer.

 Loin des clichés habituels, cette biographie d’Alexandre Dupilet montre combien le cardinal et le Régent pacifièrent le royaume et léguèrent à Louis XV un pays stable et prospère. Loin d’être des jouisseurs sans scrupules et incompétents, ils agirent tous deux en hommes d’Etat.

 Sylvain Bonnet

 Alexandre Dupilet, le cardinal Dubois, ISBN 9791021007611, Taillandier,  février 2015, 413 pages, 23,90 €

About Sylvain Bonnet

Spécialiste en romans noirs et ouvrages d'Histoire, auteur de nouvelles et collaborateur de Boojum et ActuSF.