Réparer une lacune
Le front d’Orient de Max Schiavon a un grand mérite : attirer l’attention du public sur un théâtre d’opérations de la première guerre mondiale complètement oublié. Personne ou presque en France ne connait le détail des batailles qui se jouèrent en Orient suite à l’expédition des Dardanelles, puis au débarquement à Salonique. Or, les soldats de l’armée d’Orient – Français, Britanniques, puis Serbes et grecs – sont loin d’avoir démérité. Leur contribution à la victoire finale fut en effet loin d’être inutile.
Du désastre initial…
Tout part d’une idée « géniale » du Premier lord de l’amirauté de l’époque, un certain Winston Churchill : ouvrir un second front sur le flanc oriental des empires centraux, en battant directement les turcs sur le Bosphore afin d’ouvrir une ligne de communication directe avec la Russie via la mer noire. Les stratèges alliés ne donnent alors pas cher d’une armée ottomane défaite lors des guerres balkaniques de 1912-1913, ignorant complètement qu’elle a été réorganisé par des officiers allemands – au premier rang desquels l’excellent Liman von Sanders. Le débarquement dans les Dardanelles fut un échec sanglant, sans percée significative, qui se termine par une évacuation réussie. La question alors est : que faire ?
… à l’attentisme
Les alliés décident de débarquer à Salonique, avec l’assentiment du gouvernement grec de Vénizélos, malgré l’hostilité d’un roi cousin de Guillaume II. L’erreur des alliés (rappelons qu’il n’existe alors aucun haut commandement allié, d’où des pertes de temps en concertations entre officiers britanniques et français, principalement) est de nommer le général français Sarrail, officier politique, pusillanime dont l’essentiel des tâches sera, face aux bulgares… D’en faire le moins possible. Les alliés se contentent essentiellement de récupérer les débris de l’armée serbe et de les redéployer à Salonique après un temps de convalescence à Corfou. Reste que Sarrail perd du temps, se fait détester de ses partenaires et son état-major…
L’année des victoires
Tout change quand Clemenceau en 1917 rappelle Sarrail, nomme à sa place le général Guillaumat qui réorganise entièrement l’armée d’Orient. En 1918, Guillaumat est remplacé par Franchet d’Esperey qui, au moment où l’essentiel de l’effort allemand est monopolisé en France, en profite pour relancer une offensive audacieuse (la grande guerre fut à la fin une guerre de mouvement) qui lui permet de battre les bulgares et de précipiter l’effondrement austro-hongrois. Avec une connaissance très approfondie des unités et des tactiques employées, Max Schiavon réussit à nous livrer à la fois un récit des péripéties du corps expéditionnaire et une analyse serrée de son fonctionnement, resitué dans le contexte stratégique de la Grande guerre. Passionnant.
Max Schiavon, le front d’Orient, Tallandier, ISBN 9791021006720, septembre 2014, 384 pages, 24 €