Suprême gageure !
Comment raconter la vie de Winston Churchill ? C’est à ce défi que François Kersaudy, déjà auteur de maints ouvrages (dont un Churchill et de Gaulle extrêmement savoureux et une biographie de lord Mountbatten) s’est attaqué, non sans courage d’ailleurs. Car, depuis sa mort en 1965, qui n’a pas écrit sur Winston Churchill ? Même son propre fils Randolph a entrepris une biographie sur son père, inachevée car l’alcool lui réussissait moins bien ! et que ressort-il donc de cet ouvrage ?
Le guerrier aux mille visages
Aristocrate, soldat impétueux, journaliste populaire, politique versatile (conservateur puis libéral et à nouveau conservateur) Winston Churchill, chers lecteurs, avait un grain de folie (la lecture de cette biographie le démontre, ses collaborateurs en étaient angoissés) et c’est en partie pour ça qu’il rata beaucoup de choses : l’opération des Dardanelles en 1915, le choix du retour à l’étalon-or lorsqu’il était chancelier de l’échiquier (AKA ministre de l’économie) en 1925 (brocardé à raison par Keynes), son second passage au 10 Downing street aussi. Car l’homme était fait, de son propre aveu, pour la guerre. Il accueillit donc le déclenchement de la grande guerre avec sérénité et pesa pour que la Grande-Bretagne remplisse ses obligations militaires envers le France. C’est cependant Lloyd George, son complice et rival, qui mena le pays à la victoire et qui eut le privilège de négocier la paix (bien mauvaise de Versailles). Winston va attendre sa guerre pendant plus de vingt ans…
Cassandre
Homme du dix-neuvième siècle imprégné de l’idée de la supériorité anglaise, anti-communiste et non exempt de sympathie envers le régime fasciste de Mussolini, Churchill va cependant très tôt comprendre que l’arrivée d’Hitler au pouvoir change la donne en Europe et qu’avec un tel personnage, la guerre est inévitable. Isolé dans son parti (on dirait aujourd’hui qu’il est alors un has been), il ne va avoir de cesse de dénoncer au parlement britannique l’impéritie des dirigeants britanniques devant la menace nazie. Churchill va dénoncer chaque recul avec une fougue et un talent rhétorique qui impressionnent les plus farouches de ses adversaires. Chamberlain, l’homme au parapluie, refusera de l’entendre jusqu’en 1939 et l’annexion déguisée de la Bohême.
« L’heure la plus belle »
François Kersaudy démontre très bien que Churchill a été l’homme d’un moment, celui de la résistance anglaise face à Hitler après l’effondrement de la France. De Juin 1940 à juin 1941, il va tenir, seul face au IIIième Reich, enregistrant des victoires (la bataille de l’Angleterre) et des échecs (en Grèce notamment). Adepte des stratégies périphériques en Méditerranée, il prendra des risques… Reste que son obstination face à un Hitler prêt à négocier un arrangement – solution qui ne manquait pas de partisans dans le royaume de sa majesté comme Lord Halifax et Lloyd George lui-même – a été décisive, poussant l’Amérique de Roosevelt à s’engager dans le conflit. Pugnace, Churchill a très certainement sauvé l’âme de l’Europe.
Modes biographiques…
Sans la seconde guerre mondiale, Churchill aurait été un raté de la politique. François Kersaudy, qui est un historien sérieux, très bien documenté et dont le propos sonne souvent juste, cède cependant à une certaine mode psychologisante : la clef du personnage se trouverait du côté de son père. Politicien raté, Randolph Churchill méprisait son fils aîné à qui il infligeait rebuffades et remarques désobligeantes dans leur correspondance. Winston n’aurait donc eu de cesse, consciemment et inconsciemment, de montrer à son père sa valeur… On ne peut écarter bien sûr le rôle des blessures d’enfance dans la formation d’une personnalité historique. Mais Churchill s’est aussi forgé lui-même, à travers ses lectures, ses rêveries, ses aventures aussi. Tel de Gaulle, son frère ennemi, son jumeau dans la tourmente (qui n’eut pas lui à endurer les rebuffades de son père), il s’était persuadé qu’il avait un destin. Une mission. Notre chance, c’est qu’il a rempli cette mission.
Ce reproche mis à part, la biographie de Kersaudy constitue l’occasion idéale de découvrir la personnalité de Winston Churchill. On ne peut donc que la recommander.
Sylvain Bonnet
François Kersaudy, Winston Churchill, ISBN 979-10-210-0840-3, Tallandier, mars 2015, 704 pages, 28,90 €
En lisant l’article, je m’aperçois qu’il y avait des choses que je ne connaissais.
Je me note la référence! Merci