En mai, fais ce qu’il te plait

Il y a eu Le concert de Radu Mihaileanu. La rafle, de Rose Bosch. Elle s’appelait Sarah, de Gilles Paquet-Brenner, adapté du roman de Tatiana de Rosnay. Bien sûr tous ces films offraient sur la guerre un point de vue juif, se placaient du côté des raflés, évoquant très souvent les enfants, leur donnant parfois un rôle très important. Il y eut plus tôt La chute de Oliver Hirschbiegel (1), et son extraordinaire vision du coeur du mal, qui donna lieu à de nombreux débats sur l’intérêt d’humaniser Hitler.  Il y eut Le pianiste, de Polanski, film très célèbre qui fit connaître l’acteur Adrien Brody dans le rôle d’un pianiste juif polonais échappant à la déportation, notamment grâce à un allemand féru de musique classique. Il y eut encore à la télévision l’adaptation magnifique de Pierre Boutron du Silence de la mer, de Vercors, où l’allemand est incarné par l’excellent Thomas Jouannet. Que dire du (non repentir) du personnage de la geôlière de Bernhard Schlink, dans Le liseur. Est-il nécessaire de citer ici tous les films qui parlent de la seconde guerre, et d’en explorer les points de vue ? Pour le plaisir évoquons Amen de Costa-Gravas, ou La liste de Schindler de Spielberg. Les plus grands maître se sont bien sûrs intéressés à cette guerre. Ses films sont multiples et souvent splendides autant que déchirants. En bref, d’un côté comme de l’autre les yeux sont braqués sur la victoire des uns, la défaite des autres, le mal incarné ou le bienveillant martyrisé, et si depuis la seconde guerre la France a avoué certaines de ses lâchetés, elle n’avait encore jamais trop souffert d’un cinema braquant sa camera sur son exode : 8 à 10 millions de gens ont quitté ce qu’ils avaient durement acquis pour échapper à la guerre, et trouver refuge chez mieux loti. C’est sur ce phénomène (renié par certains aujourd’hui) qu’a choisi de revenir Christian Carion. C’est une vision peu connue de la France, parce que très peu mise en lumière dans le cinéma français, même si Folle Embellie, de Dominique Cabrera utilisait ce thème en toile de fond, même si Suite française adapté du roman d’Irène Némirovsky commence ainsi.

Nous sommes au printemps 1940 : En mai, fais ce qu’il te plait est l’histoire de ces hommes, ces femmes, ces familles entières qui ont décidé de se jeter sur les routes pour fuir les bombardements allemands, leur invasion, et leur barbarie. De l’aveux des témoins interrogés par Christian Carion le réalisateur : personne n’aime celui qui marche, les volets et les portes se ferment au nez de ceux qui réclament refuge et nourriture. Comment ne pas faire ce triste constat que rien n’a changé, en voyant l’actualité d’aujourd’hui ? Le réalisateur rappelle que cette coïncidence entre la sortie du film et les événements qui nous préoccupent est un hasard : le film est écrit depuis trois ans.

Pointer du doigt ceux qui refusent d’aider ceux qui fuient n’est pourtant pas le message du film, qui ne s’attarde pas sur ces voisins ou commerçants ingrats. L’oeil se dirige plutôt vers les courageux dans l’adversité, ceux qui ont de l’honneur, un honneur plus civique que patriote, plus patriarcal que religieux. « L’honneur de l’élu » comme le précise Olivier Gourmet, est ce qui l’a touché dans ce personnage qu’il incarne magnifiquement, ce maire qui se dévoue par devoir et avec coeur pour son peuple, ces « petites gens » qui lui accordent sa confiance.

Le film parle aussi et surtout de cette jeune fille, incarnée par Alice Isaaz, qui joue le rôle de la propre mère du réalisateur. Institutrice, assistante du Maire, elle protège jusqu’à l’exode un garçon de huit ans, un petit allemand dont le père, opposant au régime nazi, avait trouvé refuge en France, où il fut finalement emprisonné pour sa nationalité.

Dans ce film, on parle aussi des langues et de leurs dangers comme de leur utilité. Par elles on peut se sauver, ou se trahir et être abattu. Quelle merveille d’entendre tous ces personnages polyglottes, de voir les langues véhiculées dans la fuite, le retrait, l’avancée : sentir la langue tantôt menace tantôt arme de précision. C’est leur redonner toutes leurs saveurs, que de leur faire imploser des ponts de manichéisme. Un mot de la musique : et quelle musique ! Pour qui s’offre le luxe d’être accompagné par El Maestro Ennio Morricone.

Le film montre avec pudeur, par l’intermédiaire de personnages splendides, ce qu’a été la fuite d’un pays sur ses propres routes, ce qu’a pu représenter le hasard des rencontres au sein d’une guerre où les fraternités n’avaient d’égale surprise que les bombes lâchées par l’aviation allemande sur les familles sillonnant les routes en quête de salut.

En cela le film de Carion est peut-être une oeuvre « anti-héros », parlant à demi mot de solidarité plutôt que d’héroïsme, de devoir plutôt que de courage. Chacun donne sa part de peur, de doute, d’espoir. Chacun paie son tribu au hasard, à la malchance, à la fatalité dans cette guerre où l’homme, encore, n’est que peu de choses. Un film émouvant, pudique et grandiose, qui mérite d’être porté par la musique d’un maître absolu. Un film authentique, comme on n’en avait plus vu depuis longtemps dans le cinéma français.

Un film de Christian Carion, Avec August Dhiel, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Alice Isaaz et Matthew Rhys

AU CINEMA LE 4 NOVEMBRE 2015

(1) Le réalisateur aime s’immiscer très loin dans la conscience humaine, depuis L’expérience sans doute, et nous offre aujourd’hui encore un film qui s’annonce très intéressant « Elser, Un héros ordinaire », qui raconte l’histoire d’un homme qui a voulu affronter seul le nazisme.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.