Longtemps vilipendé par l’historiographie sénatoriale, Marc Antoine, le vaincu d’Actium, appartient cependant à cette catégorie de personnages dont l’échec a contribué à façonner le monde antique, à l’instar d’Hannibal par exemple (je renvoie à l’excellente étude de Serge Lancel à son sujet). Pierre Renucci, spécialiste de la dynastie Julio-claudienne (on lui doit des biographies de Caligula et de Claude) et de la révolution augustéenne, nous propose ici une étude du personnage et de son parcours. Antoine, on va le voir, est loin de correspondre aux caricatures proposées par la propagande de son vainqueur Octave Auguste…
Le second de César
Jeune homme issu de l’aristocratie sénatoriale, Antoine s’engage rapidement dans le Cursus Honorum des magistratures. Allié aux Iulii par sa mère, il ne rallie César qu’à l’occasion de la guerre des Gaules où il démontre rapidement ses talents militaires : il est par exemple décisif lors de la bataille d’Alésia et, de surcroit, sait se faire aimer des soldats. Grâce au poids politique de son patron, Antoine est élu tribun du peuple mais ne peut empêcher la montée en puissance des pompéiens associés au parti sénatorial. Il quitte Rome et rallie César qui, après avoir franchi le Rubicon, prend Rome désertée par ses adversaires. Gardien de l’Italie après Pharsale, Antoine connait un passage à vide avant de remonter dans l’estime de César. Antoine jouera un rôle trouble lors des lupercales de – 44 où il fit mine de proposer la royauté à son maître : entreprise sincère ou test de l’opinion ? César refusa car, malgré son prestige et sa puissance, il ne pouvait (et le voulait-il?) aller contre les préjugés des romains.
Devenir un imperator
L’assassinat de César le laisse désemparé mais lui donne une occasion unique de devenir un Imperator, c’est-à-dire un chef militaire charismatique, talentueux et protégé des dieux. Antoine bat les Républicains menés par Brutus et Cassius (assassins de César) à Philippes. Le plus dur pour lui à cette époque est de contenir la montée en puissance d’Octave, lointain parent de César devenu son fils adoptif via son testament. Octave lui dispute la clientèle de César et sait jouer habilement de son statut de fils d’un dieu (César a été divinisé par le Sénat). Les deux hommes forment un triumvirat avec Lépide (autre officier césarien, personnage de deuxième ordre). Progressivement, Octave accapare l’Occident et Antoine l’Orient.
Une lutte inégale
Homme talentueux, général charismatique, Antoine, disons-le tout net, fut vaincu par un génie politique, Octave-Auguste. Son union avec Cléopâtre lui ouvre certainement l’Egypte mais ses maladresses (exploitées par son rival avec maestria) n’expliquent pas son échec final : selon Pierre Renucci, jamais Antoine ne médita l’instauration d’une monarchie orientale à Rome. Il se fit acclamer comme un monarque hellénistique uniquement en Orient, comme les autres Imperatores. C’est la propagande d’Auguste qui s’évertua à le dépeindre de cette façon. Selon notre auteur, Antoine avait une pratique politique pas si éloignée de celui d’Auguste (et peu conforme aux attentes de son épouse égyptienne). Sur un plan géopolitique, son système des royaumes clients fut d’ailleurs repris par Auguste. La défaite d’Actium marque la fin de l’ambition d’un homme mais non de son souvenir : Auguste intégra ses enfants dans la Domus Augusta et un Caligula n’hésita pas dans le cadre de son exercice du pouvoir à revendiquer son souvenir. Au final, une biographie essentielle pour comprendre cette période cruciale de l’histoire de la constitution de l’empire romain.
Sylvain Bonnet
Pierre Renucci, Marc-Antoine, Perrin, IBSN 9782262037789, mai 2015, 480 pages, 26 €