La Fayette, un héros d’actualité

L’historien de la guerre

Pilier de l’historiographie française,  spécialiste de la guerre des XVIIIième  et XIXième   siècles, Jean-Pierre Bois a publié nombre de biographies consacrées à des figures militaires (mais pas que) de l’histoire de France : Bugeaud, Maurice de Saxe, Dumouriez. Il a aussi écrit un ouvrage impressionnant sur la paix pendant la période moderne. Bois est donc un maître de l’histoire militaire et son La Fayette constitue une surprise pour un ancien étudiant de Jean Tulard : comment consacrer une biographie à l’homme qui, lors d’évènements historiques importants tels que la prise de la Bastille ou la fuite du Roi à Varennes, ne fait rien d’autre que… dormir (chaque évocation de ses évènements par le grand Tulard faisait éclater de rire l’amphithéâtre bondé de la Sorbonne). Au fond, une seule question compte, au-delà du mythe du héros de la guerre d’Amérique : qui fut Gilbert du Motier de La Fayette ?

Qui est La Fayette ?

Que dit-on communément de lui ? Qu’il est un héros, un personnage emblématique de deux révolutions, une idole. La Fayette est issu d’une vieille famille de noblesse d’épée, possessionnée en Auvergne, qui servit avec honneur les rois de France (son père fut tué pendant la guerre de sept ans). Vite orphelin, il est élevé par sa famille maternelle en vue d’une carrière militaire. Marié à une jeune femme issue de la famille des Noailles (l’un des lignages les plus fameux de l’Ancien Régime), le jeune homme (qui ne trouve rien de mieux que de tomber amoureux de sa femme, quelle drôle d’idée) fait une école d’officiers et se retrouve dans une garnison à Metz. Les nouvelles de la révolte des américains arrivent jusqu’à lui et excitent sa curiosité. Là se passe quelque chose d’incroyable : un des nobles les plus fortunés du pays quitte tout pour partir aider des étrangers dans leur Révolution ! Pur acte transgressif, le départ de La Fayette pour l’Amérique lui confère peu à peu une aura particulière. Au final, il sert les intérêts de Versailles, prêt à saisir l’occasion d’une revanche contre l’Angleterre. Mais La Fayette est ailleurs, du côté d’une liberté qu’il apprend à aimer au contact des américains et de George Washington (dont il devient le fils spirituel). De retour en France, il est le héros des deux mondes. Sa participation courageuse est riche d’un symbole politique qui ne le quittera jamais.

Le piège de la Révolution

La Fayette souffre de son goût immodéré pour la popularité. Affublé du sobriquet de  « Gilles César » par Choiseul, le jeune marquis voit arriver les évènements de 1789 avec une certaine ivresse : ne va-t-il pas revivre ce qu’il a vécu au nouveau monde ? Mais, dès la prise de la Bastille, La Fayette court après les évènements. S’il se fait élire commandant de la garde nationale, sa recherche d’un juste milieu, celui d’une monarchie constitutionnelle se révèle vite un mirage. S’il est le grand héros de la fête de la Fédération, la cour ne le respecte pas. Le seul homme proche de ses vues est Mirabeau mais les deux hommes se ratent… Après la fuite à Varennes (c’est vrai qu’il dormait !), La Fayette perd la main et fait même tirer sur la foule sur le champ de mars. Dès lors, c’est une longue chute et sa fuite  en 1792 signe la déchéance d’un homme dont les autrichiens s’emparent pour l’enfermer dans la sinistre prison d’Olmutz… Là, il va paradoxalement commencer à renaître.

Le bilan d’une vie

Au fond, La Fayette fut un amoureux sincère de la liberté qu’il rencontra, fils d’aristocrate, en Amérique. Toute sa vie, il se battit pour la liberté, et aussi pour sa gloire. On l’a souvent qualifié d’orgueilleux… Mais si son orgueil avait été sa seule motivation, il se serait rallié à Napoléon, le grand génie politique de son époque qui lui aurait trouvé une place de grand officier de l’Empire : rien de tout cela n’intéressait le héros des deux mondes. Modéré à l’époque de la Révolution, il le demeura jusqu’à la fin de sa vie, refusant l’excès revendicatif. Politique certes médiocre, constamment doublé par de plus brillants que lui – Mirabeau, Talleyrand, Napoléon, Louis XVIII, Louis-Philippe-, son amour de la liberté résonne toujours, surtout aujourd’hui à un moment où, malheureusement, celle-ci est violemment attaquée… Toute sa vie, Gilbert lutta. Au final, malgré ses insuffisances,  il reste un personnage attachant à la trajectoire fascinante.

Sylvain Bonnet

 

Jean-Pierre Bois, La Fayette,  éditions Perrin, ISBN 978-2-262-04017-8, août 2015, 496 pages, 24 €

About Sylvain Bonnet

Spécialiste en romans noirs et ouvrages d'Histoire, auteur de nouvelles et collaborateur de Boojum et ActuSF.