Une spécialiste de la Russie moderne
Francine-Dominique Liechtenhan fait ses études d’histoire, de philologie russe et française à l’université de Bâle où elle soutient une thèse de doctorat sur Astolphe de Custine, voyageur et philosophe (Champion-Slatkine, 1990). Poursuivant ses études à l’Université de Paris-Sorbonne, elle y soutient sa thèse d’habilitation sur le rôle de la Russie dans la guerre de Succession d’Autriche (publiée sous le titre La Russie entre en Europe, CNRS Editions, 1997, traduction russe publiée chez OGI en 1998). Elle a publié également Elisabeth Iière de Russie, l’autre impératrice (Fayard, 2007). La voilà qui s’attaque maintenant à la figure de Pierre le Grand, qui a toujours intrigué les intellectuels européens, depuis Voltaire à Adolphe de Custine. Et ce tsar, symbole de la démesure russe a effectivement de quoi fasciner les esprits.
Fondateur de la puissance russe ?
Pierre est le premier souverain russe à recevoir une éducation occidentalisée à un moment où son pays, la Moscovie, est perçue par le reste de l’Europe comme un pays semi-barbare. Tsar en 1682 à la mort de son père Alexis, il prend le pouvoir en 1692 grâce à un coup d’Etat plutôt sanglant. Aidé de ses conseillers occidentaux, il décide de mener une grande ambassade en Europe qui a plusieurs buts : découvrir des savoirs et des technologies pour la Russie, recruter des spécialistes et sortir la Russie du Moyen-âge. Pierre a des ambitions militaires et se retrouve devant deux grandes puissances rivales : l’empire ottoman et la Suède. Une première guerre contre les turcs lui permet (temporairement) d’avoir accès à la mer d’Azov et surtout de se retourner contre la Suède, alors gouvernée par le jeune Charles XII. S’ensuit une guerre de vingt ans où Charles XII, stratège hors pair contre lequel Pierre lève armée après armée, est finalement battu à la bataille de la Poltava. Les russes y gagnent la Livonie, un accès à la mer Baltique et surtout Pierre fonde St Pétersbourg.
Le créateur de la Russie moderne ?
Cette question, lancinante dans l’historiographie, y compris en Russie, est au cœur de l’ouvrage de Francine-Dominique Liechtenhan. Pierre le grand impose ses réformes d’en haut, comme tous les tsars réformateurs. Il essaie de faire de la noblesse russe une vraie noblesse (mais en la mettant à sa botte) par exemple avec sa réforme de la table des rangs et en l’ouvrant aux roturiers. Il lance aussi un impôt sur le port de la barbe, vu comme un signe de retard par rapport aux autres européens. On pourrait aussi citer sa réforme monétaire (un rouble indexé sur l’argent), ses encouragements à l’industrie ou les voyages d’exploration lancés à la fin de son règne vers la Sibérie. En Russie, Pierre le Grand a longtemps été haï par ceux qu’on a appelé les slavophiles : il aurait poussé la Russie à devenir européenne, ce qu’elle n’est pas à leurs yeux. En Europe, il fut longtemps vu comme un modèle de despote éclairé (qui n’a pas hésité à déshériter, puis à faire assassiner son fils). A la lecture de cette biographie touffue, très documentée, se dégage une figure singulière et fascinante, cruelle parfois et souvent violente. En tout cas, voici un très bon travail d’historien.
Sylvain Bonnet
Francine-Dominique Liechtenhan, Pierre Le Grand, Tallandier, ISBN 9791021007130, mai 2015, 688 pages, 27,50 €