Maréchal Juin, grand soldat et médiocre politique

 Tous les chemins mènent à l’histoire

Contrairement à nombre de ses confrères biographes, Jean-Christophe Notin n’est pas chercheur : son parcours universitaire s’est déroulé dans les sciences dures (physique) et il est diplômé de l’école des Mines. Sa passion pour l’histoire de la seconde guerre mondiale l’a amené à publier nombre d’articles et de contributions ainsi qu’une biographie de Leclerc en 2005 qui fait aujourd’hui autorité. Le chef de la deuxième D.B le passionne tellement qu’il lui a consacré une autre étude pour la collection « Maîtres de guerre » en 2015. Le voici maintenant qui s’attaque à un autre chef militaire français, Alphonse Juin, chef du corps expéditionnaire lors de la campagne d’Italie (1943-1944), vainqueur de la bataille du Garigliano et maréchal de France. Une figure finalement très controversée comme on va le voir.

 

La gloire du soldat

 

Né à Bône en Algérie, Alphonse Juin rentre à Saint Cyr dans la même promotion que Charles de Gaulle, sans que les deux hommes ne nouent d’ailleurs  une réelle amitié. Le futur maréchal commence ensuite sa carrière par du baroud au Maroc, sous les ordres de Lyautey avant d’être mobilisé en France pendant la première guerre mondiale. Blessé et invalide d’une main, il repart ensuite au Maroc et participe aux opérations de pacification. Juin se fait remarquer par ses dons tactiques et sa proximité avec ses hommes. En 1940, il voit arriver le désastre mais reste sans prise sur la bataille de France. Lui et sa division se battent cependant jusqu’à la dernière cartouche avant d’être capturés par les allemands près de Lille. Il est emmené à la forteresse de Königstein et en sort grâce à Vichy en juin 1941.

 

La seconde guerre mondiale et ses ambigüités

 

Alphonse Juin, légaliste, se montrera un militaire maréchaliste bon teint, bien loin de son ancien condisciple de Gaulle. Affecté en Afrique du nord, il se montre partisan de la défense tous azimuts, contre les allemands et les alliés. Penchait-il en son for intérieur pour les alliés ? L’auteur démontre que Juin demeure ambigu et préfère se réfugier dans l’obéissance. Le débarquement de novembre 1942 le surprend et il ordonne la résistance (qui coûtera la vie à un millier de soldats français), laissant à Darlan le commandement effectif, ce qui constitue selon Notin une belle façon de se dédouaner. Les palinodies et les exégèses autour des télégrammes de Pétain permettent néanmoins à Juin de finalement plaider pour la reprise des hostilités avec les allemands. Reste que l’establishment vichyste dont il faisait partie a laissé l’Axe prendre pied en Tunisie…

 

Cependant, Juin s’impose par ses qualités de soldat et sait plaider sa cause auprès des américains… et de Gaulle. Il aide à la mise sur pied d’une armée française (pour moitié constituée de soldats maghrébins) et de Gaulle l’impose comme chef du corps expéditionnaire français en Italie en 1943. A leur arrivée, les français sont regardés avec suspicion mais Juin réussit à s’imposer petit à petit et à convaincre les alliés du bien-fondé de ses propositions tactiques, aidé par le bon comportement au feu des troupes françaises. La gloire attend Juin au Garigliano…l de Gaulle lui  préférera cependant de Lattre pour le commandement de la première armée française débarquée en Provence.  Juin est nommé chef d’état-major, en partie à cause de son passé vichyste. A ce rôle, il fera merveille, usant de ses bonnes relations avec les américains pour aplanir les différends et les blessures d’amours-propres.

 

Une icône incommode

 

A la fin de la guerre, Juin bénéficie d’une position très confortable : celle du soldat glorieux, voire génial, bientôt orphelin de son « ami » de Gaulle qui quitte le pouvoir en janvier 1946. La IVème République, toujours méfiante en raison de son passé vichyste, le nommera résident général au Maroc où il s’opposera aux nationalistes et au Sultan, s’attachant ainsi durablement une réputation de défenseur du parti colonial et aussi de rebelle au gouvernement de Paris. Il est ensuite récupéré par l’OTAN et est nommé commandant du théâtre centre-Europe. Cela n’empêche pas Juin de donner son avis sur la guerre d’Indochine qu’il juge inutile car mobilisant des troupes plus utiles ailleurs et de freiner la marche vers l’indépendance du Maroc et de la Tunisie (malgré le discours de Carthage que Mendès-France prononce en l’y associant). Juin redoute la fin de l’influence française en Afrique du nord et surtout en Algérie, sa terre natale.

 

La dernière partie de sa vie ressemble à une montée au calvaire : l’Algérie marche peu à peu vers l’indépendance, grâce à son condisciple de Gaulle ! en même temps, Juin, comme dans les années 40, se refuse à franchir le seuil de l’illégalité : Juin restera toujours un soldat, mal à l’aise devant le politique, préférant déléguer à Pétain ou de Gaulle le soin de choisir pour lui et ne participera donc pas au putsch d’Alger en 1961… reste donc la figure un grand général, le seul français qu’Eisenhower et Montgomery respectèrent. Une bonne biographie qu’on ne peut que recommander.

 

 

Sylvain Bonnet

 

Jean-Christophe Notin, Le maréchal Juin, Tallandier, ISBN 9791021007369, novembre 2015, 720 pages, 28,90 €

About Sylvain Bonnet

Spécialiste en romans noirs et ouvrages d'Histoire, auteur de nouvelles et collaborateur de Boojum et ActuSF.