Auteur d’une biographie de Baudoin IV et de Saint Bernard de Clairvaux (qui a reçu le grand prix de la biographie historique de l’Académie française) Pierre Aubé a aussi publié chez Payot un Roger II de Sicile, que la collection poche de Perrin, Tempus, reprend ici. L’épopée des normands en Méditerranée a suscité autrefois nombre d’ouvrages au XXème siècle mais est aujourd’hui un peu oubliée. Cette biographie, bien écrite, est l’occasion de revenir sur l’histoire d’une famille, d’un homme, Roger II, et d’un monde oublié, la Sicile médiévale.
Les Hauteville, une famille a l’impact considérable
Roger II est issu d’une famille, les Hauteville, dont le plus illustre représentant est Robert Guiscard. Au XIième siècle, ce dernier a émigré en Italie du sud pour y trouver fortune et gloire. Il s’est taillé une véritable principauté en s’emparant de terres byzantines et lombardes puis a fait venir sa parentèle. Son cadet, Roger, s’est lancé avec son aide dans la conquête de la Sicile, possession musulmane depuis le IXième siècle. Malgré la résistance opiniâtre des musulmans, Roger, bientôt comte, réussit. Son frère Robert quant à lui poursuit un rêve : s’emparer de Byzance. Véritable Stupor Mundi, il lance des expéditions contre Alexis Comnène, s’empare de Corfou, prend pied en Macédoine mais le Basileus Alexis réussit à l’isoler diplomatiquement. Il meurt en 1085 en laissant un fils, Bohémond, qui va s’illustrer au cours de la première croisade et fonder la principauté d’Antioche. Quant au comte de Sicile, il fortifie sa conquête et la lègue à son fils, Roger II.
Une trajectoire époustouflante
Roger II règne de 1101 à 1154 : en moins d’un demi-siècle, il va réussir à s’emparer de l’Italie du Sud en héritant de ses cousins et à devenir Roi en profitant du schisme qui agite l’église dans les années 1130. Beau résultat, que Pierre Aubé nous conte avec habileté. Notre biographe réussit à nous restituer tout un monde oublié, celui du Moyen-âge, à donner des vies à des figures telles que Bernard de Clairvaux ou le pape Innocent II, captif un temps de Roger II. Le souverain de Sicile impose sa marque en usant de tous les moyens possibles, se montre cruel (mais c’est aussi un temps où les papes commandent des armées et font brûler des villages), parfois injuste…. Et réussit à s’imposer sur l’échiquier diplomatique face au saint empire romain germanique ou à Byzance. Là n’est cependant pas le mérite de cette biographie.
La Sicile, un continent perdu
C’est finalement l’arrière-plan de cette ouvrage qui séduit le lecteur, qu’il soit connaisseur ou néophyte de la période. Pierre Aubé excelle à recréer ce monde qu’était la Sicile médiévale et sa capitale Palerme. C’est une autre planète, bigarrée qui renait sous nos yeux. Roger II règne sur des grecs, des latins, des arabes et des juifs. Chrétien convaincu, il respecte cependant les usages de ses sujets et emploie des soldats musulmans, très fidèles, lors de ses guerres en Calabre. Sans verser dans l’irénisme, cette biographie nous aide à mieux voir ce qu’était le moyen-âge en Méditerranée, entre chrétiens et musulmans : la guerre est présente, prédomine même mais le commerce et les échanges aussi. C’est en Sicile, à la demande du Roi, que le géographe Al-sharîf al Idrîsî dessine sa carte du monde connu, un planisphère, accompagné d’un livre, le livre du roi Roger en arabe. Le même esprit animera le petit-fils de Roger II, Frédéric II de Hohenstaufen, autre Stupor Mundi mais c’est une autre histoire…
Sylvain Bonnet
Pierre Aubé, Roger II, Perrin collection « Tempus », ISBN 9782262063962, mai 2016, 608 pages, 12 €