Démystification
La Bastille est une place célèbre de Paris, un lieu-dit connu dans le monde entier et désormais siège d’un opéra renommé pour son acoustique. Beaucoup de gens se souviennent aussi qu’il y avait là une forteresse qui a été prise d’assaut le 14 juillet 1789 par une foule de parisiens en colère. Pourquoi ? Et qui était détenu là ? Dans quelles conditions ? Voilà les sujets du livre que Jean-Christian Petitfils, le meilleur historien actuel de l’Ancien Régime (quoiqu’il y a aussi Joël Cornette et Lucien Bély), a décidé de consacrer à la Bastille, quitte à remettre en question certains clichés, datant de la mythologie révolutionnaire et républicaine.
Une prison royale
Construite progressivement au cours du Moyen-âge, la Bastille dépend directement du Roi. Initialement, on y entreposait des armes et de la poudre. Proie de bien des assauts durant les guerres de Religion, la Bastille devient un lieu d’emprisonnement sous le règne de Louis XIII, Richelieu n’hésitant pas à y faire envoyer certains de ses opposants, tels les maréchaux de Bassompierre et de Vitry. Mais c’est le règne de Louis XIV qui verra le nombre d’occupants prestigieux de la Bastille augmenter : le maréchal de Luxembourg, futur tapissier de Notre-Dame, y fera par exemple un séjour remarqué. Les conditions de détention pour ces hôtes de marque sont relativement clémentes, ainsi que pour les membres de la Noblesse et de la bourgeoisie. Si le Roi (ou ses ministres) les y envoient pour les punir, il est bon ton de respecter leur rang. Quid par contre des autres, des anonymes (mais pas tant que ça) ? Ils ont droit à des chambres plus petites, voire au cachot. Force est de constater que les conditions s’améliorent au XVIIIième siècle.
La cible des Lumières
Voltaire, qui a effectué des séjours à la Bastille, a beaucoup fait pour la mauvaise réputation de la forteresse (mais quid de Vincennes qui accueillait aussi beaucoup de victimes de lettres de cachet). Être emprisonné à la Bastille via une lettre de cachet devient alors le signe le plus éclatant de l’arbitraire royal aux yeux de l’opinion « éclairée » (cf les travaux de Jurgen Habermas). Aucun cadre législatif n’encadrait en effet ce type de décisions. Reste qu’à la lecture du livre de Jean-Christian Petitfils, les gouverneurs de la Bastille furent plutôt des hommes enclins à la modération envers leurs détenus, y compris ceux qui s’évadaient (comme le fameux Latude, auquel un chapitre est consacré). Voici donc un livre utile qui permettra de relire un aspect méconnu de notre histoire.
Sylvain Bonnet
Jean-Christian Petitfils, La bastille, Tallandier, ISBN 9791021020511, août 2016, 400 pages, 22,90 €