A shop around the corner
L’amitié de deux adolescents bouleversée par les relations tendues entre leurs familles, dues aux questions posées autour du bail commercial fixé entre les deux parties.
Jouer au football ou aux jeux vidéo, pleurer la mort d’un père éloigné depuis longtemps, ou bien observer le temps qui s’écoule dans une boutique de quartier. Telles sont les images parfois fugaces qui essaiment le nouveau film d’Ira Sachs ; s’attacher à un contenu aussi cliché s’apparente à une distraction futile de prime abord. Pourtant il n’en est rien, tant le cinéaste cultive une finesse peu commune aujourd’hui, dépourvue d’envolées lyriques exacerbées afin de délivrer un conte poignant sur l’adolescence, les rapports à l’âge adulte, à l’apprentissage de vie d’homme, à l’art, à la vie. Ira Sachs nous parle tout du long d’absence de toute sortes ; tous les moments où nous n’avons pas été là, ceux où nous n’avons pas été fidèle à nous même, l’absence de compromis, de nuances, de volonté.
Au milieu de ce fatras, Ira Sachs s’attache à l’amitié de ces deux adolescents que tout oppose, éducation, conviction, caractère. Pour l’un un désir naissant refoulé, et pour l’autre une incapacité à aller de l’avant malgré un indéniable talent. Et il y a Brian, figure paternelle écornée incapable de sortir de son entêtement et au combien friable. Sachs dresse des portraits si humains bien plus encore que les personnages de Tchekhov qu’il se plaît à citer tout du long. Face aux tensions palpables et pourtant si courtoises, Sachs ne juge jamais, expose la réalité glaçante des rapports à l’argent et emporte ses protagonistes sans fureur et sans bruit.
Mais cette fresque tragique ne serait pas aussi forte si Sachs ne magnifiait pas New York à chaque plan, sans fioritures bucoliques ni atermoiements larmoyants. Non, juste une pudeur mélancolique à l’image de cette boutique, élément aussi bien de discorde et d’union qu’on croirait tout droit issue de l’univers de Lubitsch.
Avec Brooklyn Village, Sachs affectionne les fables où enchantements et désenchantements fusionnent en permanence, laissant les petits hommes de l’humanité devenir grands, quand leurs erreurs et leurs errements infinitésimales deviennent au fur et à mesure le point d’ancrage nécessaire à leur maturité.
Film américain d’Ira Sachs Theo Taplitz, Michael Barbieri, Greg Kinnear. Durée 1h25. Sortie le 21 septembre 2016