Héros malgré lui
L’histoire de Sully, pilote de ligne vétéran qui sauva équipage et passagers lors d’un amerrissage forcé dans la baie de l’Hudson.
« Pour une fois on a une histoire de crash d’avion qui finit bien à New York » Telles sont les paroles d’un personnage secondaire, trait d’humour noir qui peut certes choquer mais qui souligne le cynisme de toujours du cinéaste. En relatant les faits du « miracle sur l’Hudson », Eastwood porte de nouveau un regard sur l’histoire récente de l’Amérique et sur un héros de l’Amérique récente à l’instar d’American Sniper. Exploit pour l’éternité mais moments qui paraissent interminables pour tous, surtout quand l’enfer se rapproche alors que rien au départ ne semblait pouvoir perturber un vol régulier comme les autres.
Il est légitime de se demander pourquoi Eastwood désira porter à l’écrance fait loin d’être divers alors qu’un documentaire avait déjà il y a quelques années, été consacré à cet événement. Surtout qu’il est fort délicat d’établir un portrait convaincant avec si peu d’éléments, et après deux biopics intéressants mais parfois mal maîtrisés (J.Edgar et American Sniper), le cinéaste allait-il parvenir à proposer quelque chose de concret, voire de pertinent.
C’est sans compter l’expérience d’Eastwood, son sens des détails, sa maestria au service encore et toujours d’un classicisme de plus en plus révolu. Il n’hésite pas ainsi à s’intéresser en sus de l’accident lui-même, à l’enquête qui s’ensuivit cherchant à remettre en cause les choix du pilote, héros malgré lui. Sa façon de raconter l’incident est d’ailleurs remarquable, il réussit à donner vie à l’environnement pas seulement aux deux pilotes mais également à l’équipage, aux passagers aux secouristes. Son éternelle obsession de mettre en scène une communauté devient ici un hymne élégiaque à New York et à ses habitants, affichant par là même un optimisme qu’on ne lui connaissait guère. En outre, la reconstitution de l’accident est d’une minutie imparable, pour un metteur en scène qui se plaît à émailler chaque œuvre de dialogues ou de faits parfois insignifiants : et pourtant si prépondérants par la suite. Chaque minute passée à attendre le drame à venir, l’audition ou les retrouvailles deviennent une éternité qui ne poussent jamais le spectateur vers l’ennui. En outre, la composition des deux acteurs principaux relève du tour de force tant Aaron Eckhart et Tom Hanks crèvent l’écran à travers des rôles aussi opposés et surtout si peu glamour.
Mais surtout l’ambivalence scénaristique si précieuse que l’on entrevoit à chaque plan ne serait que vaine illusion si Eastwood ne s’était point risqué à changer quelques vieilles habitudes qui ont fait non seulement sa gloire, mais qui surtout ont été garantes d’une véritable qualité ces quarante dernières années. En complexifiant sa narration au point de la déstructurer totalement et en choisissant un héros totalement lumineux dépourvu d’une quelconque zone ombrageuse, Eastwood prouve une énième fois qu’il est bien là où on ne l’attend pas et que la question du dernier souffle, celui de l’artiste n’est encore point d’actualité.
Avec Sully, Eastwood mélange habilement ses thématiques fétiches à des expérimentations inespérées de sa part. S’il signe son meilleur film depuis L’échange, il prouve surtout que le vieux cow-boy manifeste une énergie de jeune homme, celle des géants. En cela, ni Ford, ni Mann ne le renieraient.
Film américain de Clint Eastwood avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney. Durée 1h36. Sortie le 30 novembre 2016.