Le soir du second tour des élections présidentielles la ville s’embrase, le pire est arrivé. David se retrouve à déambuler face aux émeutes et à sa vie ratée. Mina, elle, a préféré s’embarquer sur un cargo pour les Antilles pour ne pas assister à la débâcle. Deux êtres en proie à l’impuissance d’aimer qu’une nuit de cataclysme va profondément changer. Deux voyages intérieurs qui s’entremêlent en fiévreuses et subtiles sinuosités.
Eric Pessan poursuit une œuvre singulière, souvent mélancolique, explorant les liens étroits entre la vie intime et le désarroi collectif, qui empêche parfois jusqu’à la possibilité de se réinventer.
Un creux, une crête, un creux, une crête… comme l’évoque l’ouvrage d’Eric Pessan à travers le personnage de Mina, voguant vers l’isolement pour échapper à la terrible actualité qui soulève une violence inouïe dans son pays, La France, il s’agit ici de tenir bon face au roulis des vagues, de retenir ou contraindre la nausée qui nous étreint. David lui est au cœur du tourment. Voulant fuir quelques heures les mêmes raisons, les mêmes relents qui ont éloigné Mina, il s’est engouffré tout droit et très profond dans l’ardeur du feu et des bousculades. Un creux, une crête, il oscille entre rire et larmes, clairvoyance et folie, étonnement et aveuglement. A mesure qu’il fuit pour ne plus penser, il s’ouvre au monde et à tout ce qu’il offre d’absurde et d’éloquent.
C’est la nuit du second tour, la France a un nouveau président. La France à feu et à sang. Une révolution à rebours qui n’aura d’accomplissement que dans un silence renouvelé, horrifié, tendu. La France a un nouveau président qui n’a semble-t-il été élu que pour servir d’excuse à la violence : dans la joie on fait la fête, dans la provocation on égorge, on éventre, on pille et on incendie. Provoquer quoi au juste ? A quoi peut bien servir de lire, de savoir, de comprendre et de penser si c’est pour en arriver à tout casser ?
De cet effondrement, ce naufrage, cette galère et ce malaise devra revivre le pays, et ce sera à son peuple de tout rebâtir, faire renaître la joie, le bonheur et la fraternité de tous. A mesure que l’on approche de cette fin qui ne n’en est pas une, qui n’est peut-être qu’un début – et puisque la vie a ses cycles que la raison ne connaît guère – on est pris de vertige, de peur et d’une envie folle de militer et de comprendre, de faire comprendre, de donner envie. Il n’y a que ça pour parer la nausée qui affleure à l’idée que ce qu’on lit est peut-être un avant-goût, une mise en garde de ce qui nous attend.
Un roman court et puissant, ambitieux et fin, puisqu’il pointe du doigt le danger qui nous guette en ayant l’intelligence de ne citer personne. Dans les heures que nous vivons, finalement, chaque politique représente à sa façon un danger : celui de continuer à glisser, celui de voir la radicalisation s’affirmer plus encore, d’un côté comme de l’autre, ou la révolution. Laquelle ? Pour le meilleur comme pour le pire ?
Ce dernier roman de Eric Pessan, avec sa manière de tanguer sur les flots, tient véritablement le cap : il a préféré tenir la barre en navigant du creux à la crête, de la crête au creux, et non de bâbord à tribord. Est-ce un signe qu’il faut rester debout, sortir la tête de l’eau, et faire du peuple un vainqueur ? J’en ai l’intime conviction. A lire d’urgence, avant les élections !
La nuit du second tour, Eric Pessan, Albin Michel, Janvier 2016.