Paterson, de Jim Jarmusch

Le cercle des poètes disparus

Le quotidien de Paterson, chauffeur de bus dans la ville de…Paterson dans le New Jersey, antre de célèbres poètes, aux côtés de sa femme extravagante Laura et de son bouledogue Marvin.

 

Le quotidien n’est rien d’autre qu’un assemblage de moments ressemblants et dissemblant, instants qui résonnent inlassablement durant chacune de nos existences. Ce sont les vers et les strophes d’un long poème où les mots changent subrepticement dans leur tonalité, où le cours tranquille de la vie évolue et les sons correspondent ; et quand la musique devient harmonie, chacun trouve un sens à sa quête. Tel est le cinéma de Jarmusch, transformer l’ordinaire en extraordinaire pour mieux se trouver face au conformisme. Adam Driver devient le digne successeur de Forest Whitaker, de Bill Murray ou encore Tom Hiddleston, chacun incarnant l’idéal mélancolique voulu par le cinéaste.

Chaque jour est un refrain aux paroles changeantes mais à l’essence intacte. Les corps positionnés au réveil, les discussions des passagers, celles au comptoir du bar après la promenade nocturne. Tout se répète et diffère sans cesse comme si les mots faisaient écho à l’éternité. Paterson de la ville de Paterson, artiste de l’ombre si bien représenté par cette consonance musicale digne des vers qu’il écrit ou qu’il admire. Comme à l’accoutumée, Jarmusch parle de ceux qui vivent leur quête intensément et ceux qui aimeraient la vivre mais qui ne font qu’observer ceux qui y parviennent. Si Paterson cache la puissance de son œuvre, c’est pour mieux atteindre les cimes que ses proches sont incapables d’aller chercher.

Jarmusch traite en outre comme rarement avant lui de la gestation créatrice, cette torture incessante et l’apaisement qui s’ensuit quand vient à terme l’accouchement tant attendu. Il lie l’auteur et son environnement avec finesse, évitant le bucolisme béat par de subtils allers-retours. Si comme pour Gus Van Sant il y a quelques années, le processus d’écriture vient des tripes, il n’en est pas moins intimement lié au lyrisme ambiant. Les sentiments de Paterson exsudent à travers son art ; l’homme introverti cache d’autant plus ses émotions qu’il se refuse à montrer au monde son talent et n’hésite pas à le nier lors d’une rencontre inattendue.

Ode vertueuse destinée aux vrais artistes, à tous eux qui refusent l’esbroufe et préfèrent garder leurs âmes, Paterson constitue une nouvelle pierre à l’édifice de Jim Jarmusch. Un édifice qui montre ce que devrait être le cinéma encore aujourd’hui…

Film américain de Jim Jarmusch avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, Rizwan Manji. Durée 1h58. Sortie le 21 décembre 2016.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture