Prends le temps de penser à moi, de Gabrielle Maris Victorin

Deux ans à peine après l’attentat qui a été perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo paraît le livre de Gabrielle Maris Victorin, la fille de Bernard Maris. Un peu de bienveillance suffira à ne pas s’arrêter sur cette date quasi anniversaire, un peu d’expérience aussi : deux ans, c’est le minimum requis pour faire le deuil du père.

Copyright : Grasset - J.F. Paga

Et c’est avant tout de cela qu’il faut parler ici. Prends le temps de penser à moi n’est pas le témoignage d’une victime collatérale de la tuerie. Ce n’est pas le simple – et pas si simple bien sûr – récit de l’horreur et de tout ce qui y a été fauché. Ce n’est pas non plus un pamphlet contre le terrorisme, ni non plus une vengeance littéraire ou un appel quel qu’il soit. Prends le temps de penser à moi est l’évocation vivante d’un père qui a été enlevé à sa fille.

Gabrielle Maris Victorin n’écrit pas la haine, elle écrit l’amour que son père lui a témoigné, cet amour qui lui revient en pleine mémoire alors qu’elle réalise qu’il n’est plus. Comme elle l’écrit si bien, « Mon père est mort, donc, et soudain, je me suis souvenue que j’étais son enfant. ». Elle écrit aussi que s’il se trouvait à cette réunion Charlie Hebdo, c’était parce qu’il aimait profondément y rencontrer des gens intelligents, passer un bon moment avec eux. Une foule de détails encore parsèment ce petit livre qui de page en page tisse un personnage passionnant, bienveillant et aimant, généreux et sage.

Dans Prends le temps de penser à moi, on cherche en vain la colère qui aurait pu être suscitée très légitimement par cette disparition subite et terrible. Il serait absurde de la cherche trop longtemps puisqu’elle n’y a aucune place. Cette mort, c’est une mort qui a tenu sa place à cet instant, quelles qu’en soient les causes, elle reste injustifiable si ce n’est simplement par le fait qu’elle a eu lieu à cet endroit, ce jour-là. Aux vivants, il ne tient que de tenter de préserver la mémoire, de ne pas laisser les choses « se déliter » comme elles le font toujours lorsqu’une lumière s’éteint.

C’est à cela qu’aura servi le témoignage hommage de Gabrielle Maris Victorin : préserver la mémoire d’un homme qui n’est plus, mais qui avant cela aimait la vie, profondément, aimait les gens, le partage et le vent. Il n’y a pas de meilleure manière de préserver une mémoire que d’en exhumer, puis en partager toutes les beautés.

Prends le temps de penser à moi, Gabrielle Maris Victorin, Grasset, 123 pages, 13,50 euros, janvier 2017.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.