Silence, de Martin Scorcese

Mission

Au dix-septième siècle, l’histoire de deux prêtres jésuites partis à la fois chercher leur mentor et évangéliser le Japon.
Silence raconte une troublante analogie : celle d’un prêtre incapable de cerner les limites de sa foi et de sa mission, et celle d’un cinéaste ne sachant plus à quel point le succès nécessite de céder aux sirènes de la facilité. C’est surtout un projet cher à Martin Scorsese, projet qui mûrit dans son esprit depuis près de vingt ans, dans l’attente perpétuelle du moment idoine, celui de la sérénité requise pour la réussite de l’entreprise. On le sait, l’homme est obsédé par la violence sociétale, des mots ou des situations, par les liens communautaires qui se nouent ou se disloquent, mais aussi par la religiosité imprégnant le quotidien. Il se destinait à être prêtre mais il préféra répondre aux appels du septième art. Et Silence nous parle aussi de ce chemin tortueux.


Le film projette le spectateur dans un environnement faussement hostile où les contrastes se démultiplient, pour mieux le perdre à l’instar de ses protagonistes. Scorsese filme étonnamment les paysages avec le lyrisme d’un John Ford ou d’un Anthony Mann, et abandonne tout du long sa propension à l’outrance, à l’hyperbole, bref  la patte graphique qui a fait à la fois sa gloire mais aussi l’objet de critiques savamment justifiées. Il délivre une narration épurée des figures de style fantasques dont il est coutumier, accentuant de ce fait le lent supplice d’Andrew Garfield, chemin de croix psychologique jusqu’au-boutiste de ce prêtre perdu dans ce voyage au bout de la nuit.

Car le film brise les certitudes et les ambitions de ses personnages, les fait vaciller comme les lumières des cierges exposés au vent des tourments infligés à leurs ouailles, au sein d’une contrée qui leur refuse de vivre selon leurs idéaux. Ce qui fascine dans le long-métrage, c’est l’ambivalence des hommes, des situations, et de l’environnement. Scorsese montre à quel point la force peut devenir faiblesse, la faiblesse une force, oppose le chêne et le roseau et abat les croyances préétablies. Il nuance les propos par un choc cruel des civilisations où le principe des persécutions est plus ténu qu’il n’y paraît. Si nul n’est prophète en son pays, on doit rappeler le contraste propre à la période entre Orient et Occident, et l’incompréhension des mœurs et des attentes. Les chrétiens japonais sont plus en attente de signes que montre de foi, et le tyran sanguinaire est capable de raisonnement et de pourparlers bien au-delà des simples clichés du fol inquisiteur. Le cinéaste nous rappelle surtout que le dilemme ne se résout pas dans un monde en noir et blanc mais bel et bien grâce aux fondamentaux moraux non pas dictés par la société mais par le pragmatisme de l’Humanité.


Cette interrogation se poursuit bien au-delà de la foi religieuse quand elle se mêle à la foi de l’artiste à travers un discours sibyllin malicieux. Depuis son sacre avec Les Infiltrés, Scorsese a atteint l’apogée de la reconnaissance publique, lui le chien fou du Nouvel Hollywood, talentueux mais jamais l’égal des Coppola, Kubrick, Cimino ou Leone. Coppola justement il y a quelques années soulignait que sa notoriété lui apportait certes les moyens d’entreprendre mais entravait sa liberté d’action. Bref, il avait vendu quelque part son âme. Silence est là pour nous rappeler la sempiternelle question, celle de l’artiste et ses idéaux, doit-il mourir avec ou au contraire abdiquer pour vivre de sa passion. Le chemin est plus sinueux qu’il n’y paraît et les compromis ne voilent jamais complètement les buts que l’on s’était fixés. Kubrick disait qu’importe de s’accoucher du plus beau film du monde, si personne ne le voit, il n’y plus de financement et plus de prochain film. Et votre art meurt avec vous. Scorsese a choisi certes les compromis, la facilité pour certains, mais n’a jamais oublié celui qu’il était lorsqu’il mettait en scène La dernière tentation du Christ, A tombeau ouvert ou encore Kundun. Et Silence est là pour le rappeler.
Ode contemplative rayonnante de maturité, Silence interpelle par son mysticisme doux-amer mais surtout par sa sobriété, qui renforce d’autant plus son éclat, son écrin. Œuvre la plus personnelle du cinéaste, c’est aussi son meilleur film depuis vingt ans voir son meilleur film tout court, une expérience inoubliable dans les tréfonds de l’âme humaine aussi bien dans ses vacillements que dans sa grandeur.

Film américain de Martin Scorsese avec Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson. Durée 2h41. Sortie le 8 février 2017.

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture