La forêt interdite
L’histoire vraie de Percival Fawcett explorateur hors pair, parti cartographier une partie de l’Amazonie au début du vingtième siècle. Son périple le mènera sur les traces d’une civilisation perdue et de la mystérieuse cité de Z. Bien que raillé par bon nombre de ses compatriotes, il ne va cesser de poursuivre sa quête jusque la fin de sa vie…
Pas de doute 2017 sera placé sous le signe du classicisme hollywoodien ou ne sera pas. Après Chazelle, Scorsese et Nichols, c’est au tour de James Gray d’ajouter une pierre à l’édifice néoclassique de cette année, pour rappeler un peu plus la grandeur de l’histoire du cinéma américain, non pas dans son contenu (d’autres sont là pour le faire frileusement) mais bel et bien dans son contenant, dans sa forme, dans son élégance. On avait quitté James Gray il y a quatre ans avec un The Immigrant en demi-teinte. Le maître du film noir et du mélodrame contemporain semblait avoir perdu de sa superbe en dépit de réelles qualités toujours visibles à l’écran. Il nous revient aujourd’hui avec ce biopic adapté du roman de David Grann et nous livre à travers un film d’aventures rétro, l’histoire de cet explorateur tombé en disgrâce en son temps puis réhabilité.
Pourtant point d’action menée tambour battant dans ce récit mais plutôt une narration épurée servie par une leçon d’exposition et une ambiance hypnotique, onirique, iridescente. Ce n’est pas une tragédie en trois actes mais bel et bien un poème en trois strophes auquel le spectateur assiste. Un poème sur l’obsession, le renoncement et sur la cohésion sociétale, des thèmes chers et récurrents au sein de l’œuvre de James Gray. Fawcett à l’instar des héros de Two Lovers, The Yards ou encore La nuit nous appartient voue une obsession sans borne à un objet, une quête, un Graal qu’il ne cesse d’effleurer mais qu’il ne pourra peut-être jamais atteindre. Et à l’instar de Joaquin Phoenix ou Marion Cotillard, Charlie Hunnam se dresse seul contre tous à la poursuite de son rêve. La bienséance, la sécurité voudrait qu’il cesse net. Mais sa volonté de s’accomplir pleinement en tant qu’Homme mue son entêtement. Car, force est de constater que chez James Gray, le macrocosme est à l’origine des chimères de ses héros. Et ce n’est que le microcosme du clan, de la famille du moins en partie qui se révèle toujours salvateur. Mais le cinéaste balaie tout conformisme et encore plus tout manichéisme quand il dresse le portrait de ses protagonistes. La reconnaissance souhaitée, Fawcet la refuse à son épouse comme ses compatriotes la refusent aux Indiens. Le metteur en scène ne cesse d’essaimer çà et là des questionnements certes circonvenus mais bel et bien essentiels, si loin et pourtant si proches de notre société. Comme à l’accoutumée, la recherche chez Gray se fait par allers retours subtils, par un mouvement perpétuel des positions, mais surtout à travers un calvaire mental propre à plier les velléités de ses personnages
Par ailleurs James Gray fait preuve d’une maîtrise remarquable lorsqu’il met en images l’Amazonie, son approche dépourvue de lyrisme mais teintée de naturalisme fait autant honneur à Apocalypse Now qu’au Nouveau Monde ou Aguirre ou la colère de Dieu. Son aisance à retranscrire cette région du monde transperce l’écran comme lorsqu’il peignait New York aujourd’hui ou hier. L’homme et son environnement, et comment il s’extirpe des cloisons menaçantes qui le constituent, voilà encore une des préoccupations majeures du réalisateur.
En revanche, au contraire de Coppola ou Herzog, cette nature et son hostilité ne sont point à l’origine de la folle entreprise de Fawcet. Non elle représente plutôt son aboutissement, et son contact permet le passage à l’état d’Homme, en tout cas celui qu’espère l’explorateur. Pourtant, Gray répond à ce questionnement existentiel à la fois par les mots de prime abord anodins de Pattinson et par le mysticisme final à l’élégance ostentatoire.
Avec The Lost City of Z, James Gray n’accouche pas seulement d’un film d’aventure exemplaire que ne renieraient ni Nicholas Ray, ni Irving Pichel. Il ne délivre pas seulement son meilleur film, qui, malgré son thème n’en est pas moins pertinent ou personnel que le reste de sa filmographie. Non, plus qu’un film somme, plus qu’une expérimentation, plus qu’une plongée aussi bien dans les tréfonds que dans les contours de l’âme humaine, The Lost City of Z est une véritable histoire d’Homme. Le cinéaste s’évertue à répondre aux questions fondamentales, celles des relations entre celui-ci et son environnement, naturel, social, ou familial. Surtout il s’obstine à croire, à avoir foi en lui comme Boorman en son temps. Et à travers un dernier plan à la plastique fulgurante, c’est bel et bien l’esthétique fusionnelle de Coppola et son Apocalypse Now qui affleure.
Film américain de James Gray avec Charlie Hunnam, Robert Pattinson, Sienna Miller. Sortie le 15 mars 2017. Durée 2h21