Once Upon Time In Taiwan
Lon et Chin se connaissent depuis l’enfance. Désormais ils forment un couple plus uni par la tendresse et l’affection que par la passion. Ancienne vedette de baseball junior, Lon tente de percer professionnellement tandis que Chin perd son travail d’assistante de direction. Le début de la lente dilatation de leur couple.
Deux personnages dialoguent dans le décor glacé d’un immeuble à l’abandon, avec en toile de fond des bâtiments rutilants en construction, amer béton. Edward Yang ouvre et clôt Tapei Story de la même façon, avec un sens du cadre précis, rectiligne, froid en contraste pourtant avec le quotidien qu’il va s’efforcer de montrer à l’écran. Redécouvrir Taipei Story aujourd’hui constitue une véritable aubaine ; d’une part en raison de l’aspect sociétal prépondérant du long-métrage et d’autre part car il nous permet d’admirer un peu plus l’œuvre du réalisateur de Yi Yi parti bien trop tôt. Chef de file de la nouvelle vague taiwanaise dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, Edward Yang aux côtés d’Hou Hsia-Hsien (scénariste et acteur principal du film) n’a cessé en quelques films d’étudier la métamorphose de Taiwan par le biais de la corrélation entre l’évolution urbaine et celle du noyau familial traditionnel. Et si Yi Yi est resté dans les mémoires par sa maestria, nul doute que ce Taipei Story en a été si ce n’est la matrice, au moins une pierre à l’édifice colossal qui s’ensuivra en 2000. Force est de constater que Taiwan constitua une véritable épine d’un point de vue géopolitique face à la politique maoïste prétendant pendant plusieurs décennies à tort ou à raison représenter officiellement la Chine. En revanche, nul doute que son essor économique fulgurant aux côtés d’autres pays asiatiques a dérouté les observateurs les plus sceptiques quant à sa survie sur l’échiquier mondial. Et c’est au sein de ce développement un peu fou que Tapei Story prend racine, quand Edward Yang peint et dépeint de multiples facettes de cette société émergente dans les années quatre-vingt. A commencer par l’architecture urbaine coincée entre les bâtisses ultra modernes d’un côté, réservées aux entreprises les plus riches et les logements plus chiches, plus anciens. Et c’est dans ce milieu ambiant changeant qu’il fait évoluer ses protagonistes, symbole à eux seuls par leur fragilité, leurs doutes, leurs faiblesses voir leur conformisme, d’un pays en passe d’entrer dans la modernité. Il y Lon, figure conservatrice, qui n’a pas su saisir la chance d’entrer dans cette modernité, une première fois par le baseball, une seconde fois par les affaires familiales. Il se contente de stagner et fait figure paternaliste aux valeurs désuètes. A l’opposé sa compagne Chin se veut indépendante au sein d’une société patriarcale. Pourtant son absence de compromis l’entraîne elle aussi dans des déboires où les chemins de la perdition affluent à chaque rencontre. Chin et Lon regrettent une jeunesse déjà bien loin, si proche dans leurs esprits à l’heure ou leur entourage est déjà enfermé dans une routine sécuritaire. Il n’y a pas de petit ou grand rôle dans Taipei Story, juste un échantillon d’un vaste microcosme social où chacun marque de son empreinte les traditions, les aspirations et les échecs d’un monde en ébullition. La question permanente s’inscrit dans l’abandon de la continuité pour appartenir au futur quitte à laisser sur la route ceux qui font battre vos cœurs au quotidien.
Quinze ans avant Yi Yi, Edward Yang signait déjà une œuvre crépusculaire essentielle, car il ne se posait pas seulement en peintre humaniste moderne mais bel et bien comme un penseur non pas des causes entendues mais bel et bien des éléments sibyllins qui forgent jour après jour les existences.
Film taiwanais d’Edward Yang avec Hou Hsia-Hsien, Su-Yun Ko, Tsai Chin. Durée 1h59. 1985. Ressortie le 12 avril 2017