Niché au fin fond de l’Idaho, au cœur d’une nature sauvage, le refuge de Bill Reed recueille les animaux blessés. Ce dernier y vit parmi les rapaces, les loups, les pumas et même un ours. Connu en ville comme le « sauveur » des bêtes, Bill est un homme à l’existence paisible, qui va bientôt épouser une vétérinaire de la région.
Mais le retour inattendu d’un ami d’enfance fraîchement sorti de prison pourrait ternir sa réputation.
Attention talent : il s’agit là du premier roman de Christian Kiefer, et c’est un coup de maître. Ce roman contient tout : l’ambiance, des personnages incarnés, un style remarquable et un sens inouï de la narration.
Nous sommes plongés dans l’Amérique profonde, au coeur d’une histoire où se mêlent mystère et sensibilité. Le personnage de Bill, à lui tout seul, possède un charisme redoutable : on imagine un ours de montagne, qui d’ailleurs a pour meilleur ami un ours aveugle, reflet peut-être de son propre aveuglement face à un passé enfoui depuis longtemps. Il s’agit d’un homme de coeur, profondément amoureux des animaux qu’il recueille et de la nature qu’ils habitent. Tout, dans ce personnage, semble dire qu’il s’est tourné vers les bêtes plutôt que les hommes, même son idylle avec la vétérinaire du coin. Il fallait oser inventer un tel personnage, à la fois tendre et mystérieux, et, le découvrira-t-on, porteur de lourds secrets.
La narration propose des allers-retours entre passé et présent, s’amuse à déconcerter le lecteur, qui sera amené à se poser quelques questions à mi-chemin de l’histoire, comme il le ferait dans certains romans à tiroirs.
Pourtant, malgré un cadre envoûtant et sympathique à première vue, le roman possède ses noirceurs. Ainsi, l’histoire bascule au moment où le passé refait surface. Les personnages sont parfois confrontés à la violence, le désir, la trahison, et semblent se chercher tout à fait en se perdant tout au fond.
Les personnages basculent eux aussi, au gré des échanges qui les animent. Ainsi, comprend-on mieux le sens du titre : Les animaux sont aussi ces humains qui parfois sans le voir perdent une part de leur humanité, ou au contraire la retrouvent. Les animaux, sans pouvoir anticiper ce qui pourrait arriver, se jettent et se brisent sans comprendre comment ils en sont arrivés là. Les animaux sont ces êtres qui parfois font d’instinct le mauvais choix et ne peuvent plus reculer. C’est ce qui arrive parfois aux humains, aussi.
Le roman de Christian Kiefer est impossible à résumer. Il faut le lire, s’y plonger, s’y abîmer et en retirer la sève qui s’écoule des pages, s’en nourrir et se faire à l’idée que la vie n’est pas manichéenne, que rien ni personne ne possède ni le choix ni la capacité d’être entièrement bon, ou complètement mauvais. Il s’agit là de rédemption, de pardon bien sûr, mais il s’agit aussi d’un roman sur l’instinct incroyable de survie qui anime les êtres quels qu’ils soient.
Les animaux de Christian Kiefer est un premier roman formidable à lire et à relire, histoire de déconstruire les codes manichéens que nous inculque la société d’aujourd’hui.
Les animaux, Christian Kiefer, Albin Michel, 2017.