Manger ou être mangé, de Michael Köhlmeier

Nous voici aux portes d’une fable incroyable, que l’on aurait pu aussi appeler « Le bestiaire des invaincus ». J’ai mis du temps à parler de ce livre parce qu’il est très difficile de le résumer d’une part, et d’en expliquer la fibre d’autre part. On est tenté au tout départ de tomber dans le piège qui nous est tendu : Belladonna est un cochon de ferme qui s’apprête à passer à l’abattoir lorsqu’elle réussit miraculeusement à s’échapper. D’emblée, elle a le statut de victime, et c’est le contrat qui est établi avec le lecteur : toute créature qui réussit à échapper à une mort certaine suscite la compassion, la sympathie. On se range aussitôt du côté du cochon, enfin ici de la truie, et on la suit sans douter d’elle le moins du monde. L’esprit tombe l’espace d’un instant dans le piège manicchéen qui consiste à séparer le monde des hommes de celui des animaux. Les uns étant malfaisants, les autres étant les victimes.

Le chemin de Belladonna se poursuit et la fable devient carnavalesque : se construit peu à peu une procession d’animaux dignes d’un roman Orwellien, une caravane animale constituée d’un loup, d’un ours, un renard, un lapin, et un chien. La fable tient bien sûr de l’utopie : inutile d’imaginer une réalité où des animaux semblables à ceux-ci pourraient se côtoyer, se suivre, se parler, sans s’écharper.

Bientôt, cette procession se transformera en procession de la mort. Ne cherchez pas une morale, ne cherchez pas un coupable. Vous ne trouverez que des plumes et des poils accrochés à des lambeaux de chair dispersés parmi les os. L’homme, finalement, n’aura que peu son mot à dire, et peut-être, ignorera tout de ce qui se joue non loin de lui.

Le livre vous tiendra en revanche éveillé jusqu’à ce que vous atteigniez sa conclusion, qui d’ailleurs n’en est pas une. Manger ou être mangé est en tout cas un récit de haute volée, qui s’amuse, nous amuse, nous étourdit, se dévore. Il est mené par une main de maître, celle de Michael Köhlmeier. A lire !

 

Manger ou être mangé, Roman étranger, 160 pages, Editions Le Tripode, Traduction Catherine Trachtenberg
Prix: 16,00 €
Parution: 16 février 2017

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.