Okja

Animal Farm

Mija, dix ans vit au cœur des montagnes coréennes accompagnée de son grand-père et d’Okja, un cochon génétiquement modifié. Quand la compagnie propriétaire d’Okja vient la récupérer, la jeune fille se met en quête de ramener sa « meilleure amie », et ce malgré les périples qui vont s’accumuler.
Okja, c’est tout d’abord une controverse au dernier festival de Cannes. Financé et diffusé par et sur la plateforme privée Netflix, le film s’est vu refuser par le jury un prix qu’il aurait amplement mérité…la faute en incombe à l’incapacité d’un large public de le voir. Pourtant même si cette décision est justifiée et justifiable, il ne faut pas oublier que seule la chaîne sur demande a accepté sans condition de produire le nouveau long-métrage du coréen. Et que ce dernier malgré le soutien sans faille de la critique, est en revanche boudé par le public et les jurys des différents festivals internationaux…Incompréhensible. Fin de l’aparté.

Mais pas fin de l’incompréhension. Force est de constater qu’en six films, Bong-Joon-Ho ne s’est pas seulement taillé une solide réputation, il est surtout devenu l’un des cinéastes majeurs de ces quinze dernières années. Sa maîtrise formelle s’est affinée avec le temps et personne ne peut remettre en doute l’importance de Memories of Murder, The Host ou Mother. L’homme a surtout affiché avec cynisme ses préoccupations concernant l’évolution sociétale et les défaillances de l’humanité qui l’accompagnent . Point d’orgue de cette évolution, Snowpiercer aux ambitions politiques évidentes où comment Darwin et le grand capital se rencontrent dans un cocktail détonnant.

Le réalisateur poursuit sa réflexion et continue de montrer son inquiétude face à l’ultra libéralisme galopant avec Okja. Pourtant, malgré les bons et beaux sentiments affichés de prime abord, Bong Joon-Ho n’épargne personne dans cette fable tantôt grandiloquente, tantôt démesurée et pourtant loin d’être gratuite au final. Capitalistes cupides, vétérinaires dépravés, activistes truqueurs et grand-père dépassé, non à n’en pas douter Bong-Joon-Ho rejette tout le monde à l’exception d’une jeune fille aussi déterminée qu’innocente et son compagnon favori, fruit du capitalisme mais également véritable miracle d’une autre conception de la nature. Le metteur en scène fait preuve d’une virtuosité éblouissante à plusieurs reprises aussi bien pour conter leur relation que leur aventure. La course poursuite entre Mija et le camion qui lui a enlevé son amie fait montre d’une maîtrise stupéfiante. Quant à l’osmose reliant l’homme à l’animal, elle touche le spectateur d’autant plus qu’elle contraste avec l’image du camp de la mort entreposant les créatures au funeste destin.


Mais Okja appartient également à une autre forme de cinéma qu’affectionne particulièrement son auteur. Si Bong Joon-Ho déclarait récemment que réaliser des films de genre permettait de laisser cours à une réflexion plus libre, il n’en demeure pas moins que le cinéaste use et abuse de cette méthodologie pour parler d’autre chose. Polar, drame familial, film de monstre ou film d’anticipation, le genre abordé ne devient plus qu’un prétexte. L’essence même du genre, le sud-coréen s’en moque car parler d’autre chose, aussi bien de l’intimité familiale que de la complexité au sens large de notre société, là est le plus important à ses yeux. Cette approche jusqu’au-boutiste, osée mais surtout ambitieuse a été l’apanage de Michael Cimino, Ridley Scott à ses débuts et surtout de Stanley Kubrick lui-même. De là à devenir l’héritier du maître il n’y a qu’un pas à franchir pour lui.

Comme à l’accoutumée, Bong Joon-Ho nous parle de monstre même si Okja en devient un tout autre ; par le passé le monstre avait aussi bien le visage humain d’une mère, celui invisible d’un tueur en série, celui issu du Kaiju fruit de la folie ambiante ou encore celui du survivant mangeur d’enfants. Ici ce n’est point l’animal résultat d’expériences déviantes, ni même un personnage en particulier, non le monstre est bel et bien l’incarnation du processus de déshumanisation en faveur d’un profit. Car contrairement aux monstres chers à d’autres réalisateurs Verhoeven et Del Toro en tête, ceux de Bong Joo-Ho existent et n’existent que pour mieux refléter les aspects, les mutations et les maux sociétaux. Quant à la fin de l’innocence, autre thématique chère au réalisateur, elle prend la forme d’un marché du diable, mais conforme aux règles d’une société en perdition.

Plaisir coupable, film militant aux aspects burlesques mais également film d’aventure, Okja est tout cela à la fois et bien plus encore. S’il n’est point le meilleur film de son auteur n’atteignant pas les cimes de Mother ou The Host, il n’en est pas moins issu de la même matrice que ses aînés. Si on peut reprocher une tendance à l’hyperbole au niveau de la mise en scène tant sur la critique que l’interprétation, on ne peut en revanche que s’émerveiller quand un détail infinitésimal vient à l’encontre de l’exagération voulue par son auteur en apportant la subtile nuance tant attendue. Certes depuis quinze ans grand public et récompenses fuient le cinéaste. Pourtant, il est fort à parier qu’il marquera de son empreinte cette époque, et que son œuvre perdurera encore d’ici cinquante ans. Ce ne sera point le cas d’autres auteurs plus proches de l’imposture que de l’élégance du coréen.

Film américain et sud-coréen de Boon Jong Ho avec Seo Hyun-Ahn, Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal. Durée 1h58. Sortie le 28 juin 2017 sur Netflix

About François Verstraete

François VERSTRAETE, cinéphile et grand amateur de pop culture