Les fugitifs
Deux hommes détalent sur une plage inconnue, à l’aube. Poursuivis par un mystérieux hélicoptère, ils vont devoir unir leurs efforts pour survivre…
Ouverture…La caméra filme la cavale de deux individus par le biais d’un impressionnant travelling. Dès les premières minutes, Joseph Losey donne le ton à ce thriller haletant. Force est de constater que la filmographie du britannique se veut des plus éclectiques. Connu par bon nombre de ses cinéphiles pour son drame aux allures théâtrales The Servant, il se fend avec Deux hommes en fuite d’un film d’aventures peu orthodoxe lors de sa sortie. A l’origine Losey adapte un roman mais s’en éloigne aussitôt ne gardant ni la localisation géographique de l’action (l’Asie) et encore moins les origines de la fuite des deux hommes.
Il préfère entourer de mystère les raisons de leur supposée captivité, multiplie les ellipses sur leur passé et se concentre sur le moment, instant anxiogène où chaque acte manqué les conduirait vers une sortie de route inévitable. Au lieu de nous dresser le portrait de deux victimes, Losey se satisfait de deux protagonistes mal aimables, autant opposés par la sempiternelle origine urbanité ruralité que réunis par la seule volonté de survivre et d’atteindre un Eden utopique et inespéré. Pour parvenir à leurs fins, Mac et Ansell devront user de subtils subterfuges mais aussi faire preuve d’une cruauté sans bornes tels des animaux enragés et désespérés. Mais cette quête éperdue se solderait par une banale fugue déjà vue cent fois, si Losey n’affichait pas une véritable singularité visuelle puisant son inspiration aussi bien dans la pop culture naissante que dans les films de guerre ou d’aventure moderne et parfois le western. Si par moments, on reconnaît l’influence de La mort aux trousses sortie dix ans plus tôt, force est de constater que Losey récite avec brio le mélange des genres, exposant ça et là autant de référents culturels et politiques. Par cette initiative, le cinéaste interpelle, décontenance et assène le spectateur avec force. Si le réalisateur filme les grands espaces comme le faisait jadis Mann et Ford, il n’en dépeint pas le lyrisme mais plutôt l’aridité. La nature devient hostile, incapable de cacher bien longtemps les fuyards. Et quand ils trouvent refuge dans un champ, le britannique nous rappelle douloureusement l’actualité (on est alors en plein conflit vietnamien) quand les soldats arrosent l’abri de fortune au napalm. En outre le mystère entourant Mac et Ansell se propage aussi bien à ceux qui les opposent ou bien encore au lieu dans lequel ils se trouvent. Ile mystérieuse, villageois , assaillants inconnus, et captifs aux raisons éludées. Losey refuse l’identification quelconque pour le spectateur, préférant accorder le doute dénué du bénéfice, ne justifiant ni la sauvagerie des uns ni la traque des autres.
Mais le résultat ne serait pas aussi brillant sans la gestion de l’espace et des distances parfaitement maîtrisée par le metteur en scène. Capable de mettre en relief les rapports entre l’homme et l’espace sauvage ou encore la poursuite impeccable entre l’hélicoptère et les fugitifs, Losey retient la leçon ici du Prisonnier de Mc Goohan et sa logique implacable. L’ombre de numéro six plane furieusement sur l’objet non identifié de l’auteur d’Eva.
Epatante course poursuite, héritière aussi bien des influences télévisuelles que porteuse des interrogations de son temps, Deux hommes en fuite va bien au-delà du film d’aventures traditionnel. Mettant aussi bien le spectateur que ses protagonistes dans une situation inconfortable, Losey crée un malaise salvateur, nous rappelant sans cesse la bestialité dont peuvent faire preuve les survivants. Syndrome du film oublié par l’Histoire, réhabiliter Deux hommes en fuite s’avère autant nécessaire sur la forme que vain sur le fond. Mais surtout légitime !
Film britannique de Joseph Losey avec Robert Shaw, Malcom Mac Dowell. Durée 1h50. 1970. Ressortie le 27 septembre 2017.