Personne ne gagne, Jack Black

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jeanne Toulouse

Préface de Thomas Vinau, Postface de William S. Burroughs

Collection Les Grands Animaux

Je ne suis pas attirée par la conquête de l’Ouest, les westerns, les films de gangsters américains ni la ruée vers l’or. C’est un domaine littéraire qui m’est tout aussi étranger que la nanotechnologie ou les neurosciences. Pourtant, peut-être aidées par mon récent coup de coeur pour New-York (ce qui n’a rien à voir), les éditions Monsieur Toussaint Louverture ont réussi à attirer une nouvelle fois mon attention avec le livre autobiographique de Jack Black.

Jack Black, c’est ce garçon qui est né en 1871 près de Vancouver, d’un papa britannique délaissant et d’une maman disparue trop tôt. Très vite livré à lui-même, il se découvre une passion pour les hobos, les vagabonds et les petits voleurs. Allant de petits larcins en cambriolages  de coffres-forts, écumant les routes de l’Ouest au gré de ses petits et grands détours en prison, Jack Black mène une vie ponctuée par les bons et les mauvais plans pour finir un jour par tenir la bibliothèque d’un pénitencier et écrire des articles dans un célèbre journal.

Cette vie-là, contenue dans les pages de ce petit format de chez Monsieur Toussaint Louverture, un petit format d’une grande beauté (il faut le soupeser, le feuilleter, humer ses pages pour le croire), cette vie-là donc, est fascinante. Nous avons entre les mains la vie d’un gangster auquel on voudrait confier son destin. On voudrait faire de lui un ami, car seul cet homme-là est digne de confiance. S’il est cambrioleur, il est aussi gentleman et abrite un coeur gros comme ça.

La preuve : de ses expériences en prisons de comtés ou en pénitencier, il tire une leçon qui fera de lui un fervent combattant contre la peine de mort. Selon lui, il faut prendre le problème de la délinquance à sa source, et non chercher à en punir systématiquement les conséquences. Il ne s’agit pas de justifier des méfaits par un passé capricieux, mais belle et bien de donner les meilleurs clés possibles à des jeunes qui tombent dans la délinquance bien souvent par mégarde ou mauvaises fréquentations. Tout est une histoire de rencontre.

Des rencontres, il en fait de belles, des brillantes, des calamiteuses, des fascinantes encore, des merveilleuses et évidemment de très précieuses comme celle avec les Johnson, ces criminels de son espèce qui se révèlent loyaux en toutes circonstances, qui volent sans brutaliser, et qui volent surtout pour honorer le paiement de leur loyer car, disent-ils, il serait malheureux d’avoir à mentir ou à voler sa logeuse ! En revanche, trouver un coffre à forcer pour la payer, ça, c’est permis.

On imagine Jack Black avec un chapeau, à mi-chemin entre Lucky Luke et Trinita mais en plus classe. On se prend à rêver la même vie, à guetter un bon coup qui nous ferait subsister quelques mois encore “tranquille”, à l’abri. On regarde les trains de marchandises d’un autre oeil, se disant qu’on pourrait y grimper clandestinement et ainsi s’assurer un voyage à l’oeil. On rêve de Mary. On rend grâce à cette Colombie britannique qui à la différence de tout le continent américain ne maltraitait pas ses prisonniers. On se surprend à baisser la tête devant un policier, conscient quelque part de détenir quelque lourd secret. Pourtant, ce temps est révolu où on pouvait piller un tripot et aller planquer quelques mois un sac de billets au fond d’un champ. Personne ne nous cherche pour nous ramener en prison. Mais le livre, une fois refermé, continue de hanter le lecteur de bien des façons.

Jack Black au bout du compte s’avère être un homme étonnant. Sans doute n’aurait-il pas atteint cette remarquable sagesse dont il fait preuve à la fin de sa vie si celle-ci n’avait pas été ce qu’elle a été. On se dit égoïstement que pour obtenir ce livre, le lire, l’avoir entre les mains grâce à une maison d’édition merveilleuse, il aura fallu que tout s’emboîte : que son auteur aille de bêtises en bêtises, de supplices en désespoir, de petits bonheurs en grandes peines, de solitude en rédemption. Il a fallu également sa rencontre avec un grand journaliste progressiste de l’époque, Fremont Older. Il aura fallu la clémence d’un juge qui lui donne sa chance au lieu de le contraindre à une punition plus sévère encore, lui qui a passé plus de la moitié de sa vie en prison déjà.

Ce livre contient tout. Il est toute une vie aventureuse. Il s’agit d’un ouvrage qui se lit comme un roman, se découvre comme une aventure d’enfant, se dévore comme un voyage incroyable, se garde comme une bible qu’il faudra relire pour se rappeler le maître mot, la clé, la solution à tous les problèmes : la bienveillance.

Le véritable crime serait de ne jamais le lire.

Personne ne gagne, Jack Black (Thomas Callaghan), Editions Monsieur Toussaint Louverture, 480 pages, 11,50 euros.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.