Comment vivre en héros, Fabrice Humbert

Fabrice Humbert est l’un des rares auteurs de ces dernières années à pouvoir vous planter un personnage dans un décor, puis l’emmener de sa vie à sa mort par le chemin d’une longue histoire chargée d’événements, en moins d’une page. Fasciné par les rapports humains, par l’Histoire, Fabrice Humbert façonne ses romans avec une intuition mêlée d’érudition.

On se souvient de L’Origine de la violence, où le hasard entraînait un homme sur les traces de son passé, lui préparant ainsi un avenir plein d’étonnantes découvertes sur lui-même et le sens de la vie. L’histoire individuelle du personnage se trouve bouleversée par l’intrusion dans celle-ci d’un passé étroitement lié à l’Histoire collective épouvantable de la déportation. Dans Avant la chute, roman non moins fameux, l’auteur nous amène en Amérique du Sud dans la fuite de deux soeurs Colombiennes, et nous dépeint l’étrange mécanisme d’une économie parallèle devenant plus puissante que l’économie réelle. Trois destins forment ce livre où la violence, une fois encore, est présente. C’est également la violence qui sert de scène d’introduction au non moins fascinant livre La fortune de Sila. Ici, trois nations s’emparent de l’histoire : la France, la Russie, les Etats-Unis, et les rapports de force entre ceux qui possèdent le pouvoir et les minorités ne cessent de s’intensifier.

Qu’est-ce qui fait parfois que face à une injustice explicite ou non, quelqu’un ne réagisse pas du tout ? Qu’est-ce qui fait de ce monde le terreau de toutes les injustices, tentations, oppressions que l’on connaît ? Qu’est-ce qui fait d’une personne un lâche, d’une autre un héros ? Le déterminisme est-il une question dans tout cela ? Doit-on frémir de donner tel ou tel prénom à son enfant ? Combien de vies possibles à partir d’un choix pris à l’instant T en quelques secondes seulement ?

Le destin, quel qu’il soit, semble le résultat de plusieurs ingrédients où se mêlent le hasard, le caractère personnel, la conviction politique, religieuse ou morale, la rencontre, la lâcheté ou le courage, et bien d’autres choses encore qui font de nous des humains. Dans Comment vivre en héros, l’auteur s’amuse de tout cela et malmène son personnage principal sans rien jamais lui épargner. Celui-ci sera égratigné par la honte, le repentir, gratifié d’un courage de 38 secondes, écorché par la honte à nouveau, tour à tour condamné, adulé, gracié, humilié. Rien à voir avec la fadeur d’un personnage souffre douleur pourtant : il s’agit ici de donner corps à tous les possibles et cette vie-là, enserrée en 410 pages aurait l’air d’un roman forcé si elle ne brassait pas sur son passages tant de choses universelles et si proches de notre société actuelle. Les personnages, tout en étant on le devine un peu, des pantins, des prétextes à l’observation de quelques vies dans un microcosme faisant écho à un domaine d’étude beaucoup plus large, n’en sont pas moins charismatiques et très marquants. Ils se font les révélateurs des maladies qui touchent notre société, notre quotidien, nos vies.

Ici, Tristan Rivière cherche à s’accommoder d’un prénom qui le désignait d’emblée comme un héros, quand il perdit sa première occasion de faire preuve de courage. Mais peut-on vraiment être un héros ? Son père en était-il vraiment un d’ailleurs ? L’ensemble des ingrédients constituant notre société permettent-ils aujourd’hui de composer un tableau plus beau ?

Corruption des corps, corruption des âmes, corruption des institutions : nulle vie n’échappe à la tentation, contre son gré ou non. Quelques noeuds brisent les ficelles de nos destins, en modifient la trajectoire, pour régaler le dragon qui sommeille au bord du chemin.

Etre un personnage de Fabrice Humbert doit être un destin difficile : écartelé, malmené, poupée de chiffon tiraillée. Il n’épargne rien. Ce peut être beau, fort, poignant, fascinant, monstrueux, séduisant, mais toujours, les histoires de Fabrice Humbert portent leur lot de violence. Il en est ainsi parce que la vie est violente, et qu’il ne sert à rien d’éluder ce trait si l’on veut l’étudier. Ni grossi, ni atténué, le trait persiste et signe, suit son fil avec détermination.  La violence est ici un révélateur.

Etre Fabrice Humbert doit être merveilleux : on le sait maintenant depuis quelques livres déjà, il maîtrise ses histoires, ses personnages tandis qu’il s’amuse à faire en sorte que tout leur échappe. Il constitue ses petits mondes, petites bulles dans lesquelles se reflètent notre monde à tous. Il pétrie et caresse doucement chaque petite boule de cristal et semble nous dire : regardez. Regardez et voyez ce que nous sommes. Le pouvoir du romancier s’assimile en quelque sorte au pouvoir de Dieu, qui choisit d’orienter notre regard où ça fait mal quand bon lui semble. Jusqu’où ira-t-il ?

Comment vivre en héros ?, de Fabrice Humbert, Gallimard, 410 pages, 21,50 euros, Juillet 2017

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.