Détenu en attente de jugement, de Nanni Loy

Nous sommes en 1971 quand sort sur les écrans le film de Nanni Loy, Détenu en attente de jugement. Un an plus tard, il remportera l’Ours d’Argent du Meilleur Acteur au festival de Berlin grâce à l’interprétation magnifique de Alberto Sordi.

Le film raconte l’histoire de Giuseppe Di Noi, un géomètre italien émigré depuis plusieurs années en Suède, qui décide de venir passer ses vacances en Italie, à Milan, avec sa petite famille. A la frontière, un contrôle de routine sera le point de départ d’un enfer digne du Procès de Kafka. Comme dans l’ouvrage de ce dernier, le personnage est confronté à l’impossibilité de connaître les raisons de son arrestation. Il sera alors balloté de prisons en prisons jusqu’à ce que l’espoir de trouver une issue à sa situation s’amenuise tout à fait. Malmené comme un meurtrier, traité comme un malpropre, il connaît les pires humiliations que peut offrir un système déjà contestable à un homme totalement innocent.

Le scénario a été écrit au coeur des années 60. S’il s’attarde longuement sur les conditions de traitement et de détention des délinquants et meurtriers en Italie, s’il contient d’ailleurs une très belle scène de manifestation à l’intérieur du système carcéral, il serait dommage de n’en retenir que cet aspect car il ne s’agit pas d’un film politique. Cet aspect est en effet quelque peu éloigné au profit du personnage de Giuseppe.

L’absurdité de la situation de Giuseppe, qui ne sait pourquoi il est incarcéré, qui ne peut communiquer avec sa famille ou l’extérieur en général, qui apprend après des semaines d’attente que pour parler au juge il devait avoir un avocat… tout ceci bien sûr accentue peu à peu le jeu de pression opéré sur un homme censé incarné l’innocence même. On le comprend très vite, il ne sait même pas ce qu’on peut bien lui reprocher ! Tel K perdu dans les couloirs de l’administration, Alberto Sordi est confronté à de multiples portes qu’il faut franchir les unes après les autres sans connaître la destination finale. Génie de cette scène où il franchit des portes se situant à 5 mètres les unes des autres, et où les gardiens répètent à haute voix son passage et sa destination, alors que tout le monde a déjà entendu : c’est cela, qui est mis en relief exactement, chaque chose déjà apprise est répétée à l’envi, chaque inconnue est reléguée plus loin encore dans une zone d’ombre impossible à atteindre.

Le jeu admirable de Alberto Sordi, sa situation totalement absurde, auraient pu faire passer ce film pour une comédie. Mais peu à peu, la violence, l’humiliation, la mort, puis la folie s’invitent au coeur du film et l’acteur joue remarquablement de toute sa panoplie pour illustrer cette plongée dramatique au fond du désespoir. Rien n’interdit alors de penser que l’issue pourrait être fatale, tragique. Rien, non, n’interdit d’imaginer cela. Car c’est peut-être tout ce qu’il reste d’ailleurs à ce personnage pour continuer d’avancer : l’imagination.

Un film extraordinaire qui marque sans nul doute les esprits qui s’y attardent. Magnifique.

Détenu en attente de jugement, de Nanni Loy, avec Alberto Sordi, Elga Andersen, Lino Banfi, Mario Pisu. 1971. Tamasa Diffusion. Collection Viva L’italia.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.