La nature des choses, Charlotte Wood

Dix femmes emprisonnées au milieu du désert australien. Dix femmes au crâne rasé, vêtues d’habits étranges. Trois geôliers, vicieux et imprévisibles, pour les surveiller. Un jour, la nourriture vient à manquer. Pour elles comme pour eux. Et les proies se changent en prédatrices.

En commençant la lecture de La nature des choses, on repense à Moi qui n’ai pas connu les hommes, de Jacqueline Harpman. Le lecteur est parachuté dans un monde où les éléments sont d’abord absents, car les personnages du roman sont enfermés. On ne sait rien de ce qu’il y a au dehors. S’agit-il d’un jeu de télé-réalité ? Les femmes qui sont prisonnières ici ont-elles été enfermées à cause de quelque chose qui les unit ? Qu’y a-t-il au dehors et qui sont ces geôliers desquels on ne sait qu’espérer, que craindre ?

Curieusement, c’est à mesure que l’horizon des femmes s’élargit que le mystère s’épaissit. Puis, par le truchement d’une écriture remarquablement précise, c’est enfin le caractère des personnages qui s’étoffe à mesure que leur avenir s’obscurcit.

La nature est ainsi faite, d’ailleurs, qu’une homme, une femme, un humain n’est jamais ni tant à plaindre ni tant à blamer. Chacun porte probablement sa part de tout. Ainsi, l’auteur s’amuse à écorcher ses personnages, à les entrechoquer, en prend un pour taper sur l’autre puis inverse les rôles, découvre une sensibilité qu’on ne croyait pas cachée là, transforme un esprit fort et réfléchi en animal sauvage ne suivant que son instinct.

Bien sûr, on pense également à l’excellent Elles, de David Haziot. Ici il n’est pas question de matriarchie, bien au contraire. Le lecteur met les pieds dans un monde comme le nôtre : les femmes sont traînées dans la boue, méprisées, dominées (elles doivent l’être, absolument), humiliées. Ce sexe qui est fait pour enfanter le monde, qui est à la source de toute créature humaine, est aussi et absolument le sexe faible, celui que l’on méprise mais dont on se sert à l’envie, source de vie, source de mort, source de pulsion dévastatrice : jalousie obscure et éternelle. La féminité est en jeu, purement, crument.

Et l’on apprend bientôt, par le biais de personnages très charismatiques, que de toute monstruosité peut naître quelque chose. Pour autant, il existe des mondes où parfois rien ne peut être sauvé, où les questions n’amènent pas toujours de réponses. La nature des choses, le si bien nommé roman de Charlotte Wood est de ces mondes là.

C’est un roman magistral dont les pages renferment un huis-clos effroyable et envoûtant, comme le reflet d’un certain aspect de notre société (qui peut croire que tout n’est que littérature ici ?), une poupée terrible et monstrueuse abritant une merveille décomposée.

La nature des choses, Charlotte Wood, Le masque, JC Lattès, 20,90 euros, 286 pages, Aout 2017.

Traduit de l’anglais (Australie) par Sabine Porte

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.