En compagnie des hommes, de Véronique Tadjo

Certains livres parfois ont ce pouvoir d’envoûtement auquel vous ne vous attendiez pas. La quatrième de couverture de celui-ci en disait presque trop : un virus mortel et incurable a mis l’espèce humaine face au danger de l’extinction. Plus loin, on lit qu’ici l’auteur souhaite nous parler d’Ebola. Cette épidémie, on en a entendu parler, beaucoup, entre 2014 et 2016. Comme trop souvent, on voyait le phénomène de loin, comme quelque chose qui ne nous concerne finalement pas tant que ça, nous qui sommes à l’abris planqués derrière la frontière de notre continent. L’épidémie pourtant fait rage durant plusieurs mois, qui se transforment en années. De temps à autre, la menace tente une ouverture vers un autre continent : c’est un malade qui est arrivé par avion, un médecin que l’on parle de transférer outre atlantique, une infirmière dit-on, que l’on parle de rapatrier ? L’épidémie fait soudain beaucoup plus peur, comme si elle devenait plus grave à mesure qu’elle s’approche.

C’est un phénomène que l’on retrouve avec les guerres, avec les attentats. Plus meurtriers à des dizaines de milliers de kilomètres, ils ne sont pourtant qu’un petit caillou qui virevolte entre notre inconscience et notre morale : quelque chose que les deux cases se renvoient l’une et l’autre sans vraiment s’y attarder jamais. Jusqu’à ce que l’attentat se produise à Paris, intramuros, touche nos amis, notre famille. L’ampleur du phénomène plus vaste qui provoque ces événements pointe alors et pique une partie du cerveau, le gélifie, le glace. C’est désagréable, on sort de la zone de confort que l’on connaissait.

En compagnie des hommes explore donc cette épidémie du virus Ebola sous tous les angles. Alors c’est toutes les voix de la nature (humaine, animale, végétale) qui résonnent et se couchent sur les pages. Le Baobab qui ne peut que constater que la forêt est décimée par l’homme, qui demande en retour à la nature de lui procurer des solutions aux problèmes qu’il a lui même engendrés : tel un sage au milieu de ce qu’il reste de son environnement, il ne condamne personne, ne fait que constater. La chauve-souris, mi-renard mi-colombe, se repend d’un crime qu’elle n’a pas commis, d’être un être intermède à qui l’on souhaite faire porter tous les chapeaux.

Médecins et malades se succèdent, et le virus attrape, tort, malmène, avale et digère tout ce qu’il touche. C’est le virus le plus mortel et fulgurant que l’on connaisse. Déjà, celui qui est soupçonné d’être contaminé ne fait plus partie des vivants : il faut choisir son camp. Vivant ou mort. Vivant ou presque mort. Vivant ou potentielle menace. Les vivants restent entre eux, les potentielles menaces, presque morts ou morts tout court seront mis dans le même sac. Le virus lui-même prend la parole et crache son venin, condamne les hommes, ne leur fait aucun cadeau. Sa détermination est sans égale : tant qu’ils adopteront un comportement méprisant, hautain, dominant sur cette planète, tant qu’ils se montreront menaçants envers la nature, ils seront pourchassés dans les moindres recoins du globe. Seul un sentiment plus fort, plus beau pourrait le sauver. Seulement, l’homme est-il capable de solidarité ?

ONG, grandes organisations privées, égoïsme : petites et grandes bassesses sont ici pointées par l’auteur et son virus, qu’elle n’hésite pas à personnifier. Il court le bruit que les virus, principalement cloisonnés sur le continent africain, serviraient à contenir la densité de la population, tout comme il court celui que les guerres sont favorables à l’économie. Il se murmure aussi que la terre serait capable de se défendre seule contre son assaillant, qu’elle serait capable de lui survivre, de l’anéantir en retournant ses armes contre lui, et que tout pourrait recommencer après l’humanité que nous connaissons.

Tant que des hommes se penseront supérieurs aux autres, quel que soit le lieu où ils vivent, ce qu’ils possèdent, ou leur couleur, il ne sera pas possible de réconcilier les continents. Il ne sera pas possible d’éviter la catastrophe. Surtout, tant que ces hommes penseront pouvoir contenir les phénomènes de la nature, tels que les ouragans, les tsunamis, les virus : ils courront à leur perte, car la nature, elle, ne fait aucune distinction, et engloutit tout.

Un merveilleux texte où chaque voix apporte une sagesse, un éclairage, une parole juste et nécessaire.

En compagnie des hommes, Véronique Tadjo, Don Quichotte éditions, Aout 2017, 170 pages.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.