Loser jungle
Les frères Jimmy et Clyde appartiennent à une famille délaissée par la chance. Connus de surcroît pour leur manque de finesse, ils joignent difficilement les deux bouts. Un beau jour, Jimmy décide d’entraîner son frère dans le projet du casse du siècle. Leur réussite dépendra alors du braqueur Joe Bang et…de cette fameuse chance qui les a toujours fuit.
Revenir sur sa parole désacralise grandement l’authenticité d’un individu, plus encore quand il s’agit d’un artiste. Et à ce petit jeu, Steven Soderbergh n’en est pas à sa première fois, tant et si bien que l’on doute de sa retraite définitive en tant que cinéaste. Du coup si l’on peut émettre de la sincérité concernant son avenir, on ne peut en revanche nier ni la qualité de sa mise en scène et encore moins la lucidité de son regard. Et avec Logan Lucky, il met une fois de plus en avant les qualités qui font la force de son cinéma depuis plus de trente ans, même si le fil conducteur tisse un ouvrage qu’il a maintes fois usité.
Ici, le réalisateur d’Ocean’s Eleven revient de prime abord sur l’un des thèmes qui a fait sa gloire, à savoir le film de casse. Et si les gueules cassées de Tatum et Driver sont bien moins glamour que celles de Clooney en son temps, elles n’en sont pas moins attachantes. Ici, les rois de la lose s’improvisent en rois du braquage pour palier à une vie que le l’American Dream Of Life a transformé au fil des années si ce n’est en cauchemar au moins en purgatoire. L’un est devenu ouvrier en bâtiment quand il a vu sa carrière de footballeur brisée par une blessure au genou. L’autre s’est vu amputé d’un bras victime d’une guerre dans laquelle il s’est engagé…pour son frère.
C’est donc cette fratrie pas gâtée par la vie et flanquée d’une autre aux déficiences encore plus grandes qui va s’attacher à monter le casse du siècle, dicté non pas par un plan qui se déroule sans accroc mais par un mémo affiché sur le réfrigérateur. Le ton affiché tourne alors non pas à la caricature ou à l’esbroufe mais plutôt à la dérision qui sied si bien au talent du cinéaste. Si le déroulement et la minutie du casse se veut ciselée autant que possible en hommage au genre élevé par Huston et Kubrick, le film n’a en aucun cas la velléité de rejoindre les ambitions de Quand la ville dort ou l’Ultime Razzia. Et si la qualité d’exposition des personnages s’affine au fil des minutes comme pour les deux autres films sus cités, le long-métrage s’attache à des objectifs très différents que ceux des deux maîtres.
Le véritable propos de Soderbergh se forge bel et bien dans la description d’une Amérique au mode de vie de plus en plus volatile et inconstant, où comme sur le circuit tout va plus vite, tout change au profit de ce que promettait hier le rêve américain. On change justement de projet, l’ambition passe de reine de beauté à celui de chef de cuisine, et les plus anciens végètent car ils n’ont jamais pu accrocher un idéal très éloigné de la réalité crue et impitoyable. Pourtant à ce petit jeu, Soderbergh ne cherche ni l’opprobre et encore moins le pathos si cher à ses confrères. Il préfère l’humour, l’humanité, et mettre en avant la force des racines, du foyer, de la famille. Le comique plutôt que le tragique, c’est tout un pan de l’œuvre de Soderbergh qui éclate de nouveau à l’écran. Si tous se souviennent évidemment d’Ocean’s Eleven ou de Magic Mike, l’image surtout d’Hors d’Atteinte revient bel et bien quand on regarde Logan Lucky. Les mêmes losers, les mêmes déceptions, mais aussi le même humour triomphal et triomphant. Il est d’ailleurs étonnant qu’un même auteur affiche souvent un contraste aussi saisissant dans son approche cynique et désabusée par moments, drôle et rafraichissante à d’autres.
Sans parler de chef d’œuvre ou bien encore d’un produit de plus, Logan Lucky se pare d’atours composites où le social rejoint la comédie, et le film de casse la farce. Le retour au cinéma pour Soderbergh ne constitue pas celui du fils prodigue, d’un quelconque martyr ou encore d’un simple imposteur. Pourtant, il est les trois à la fois, et plus encore, ni vraiment incompris, ni vraiment adulé, il appartient à cette race d’artistes dont la raison d’exister s’imprègne du subtil équilibre entre nécessité et inspiration digne de ce nom.
Film américain de Steven Soderbergh avec Channing Tatum, Adam Driver, Daniel Craig. Sortie le 25 octobre 2017. Durée 1h58.