Le peuple des abattoirs, de Olivia Mokiejewski

«  Leurs journées commencent en général avant celle des autres, au milieu de la nuit. Ils saignent, découpent, dépècent et désossent. L’obsession est de suivre les cadences et de tenir. Au départ, c’est un petit boulot, et ça devient un métier. En France, 50  000 ouvriers travaillent dans les abattoirs. Ils tuent et découpent, chaque jour, trois millions d’animaux et les transforment en steaks, côtelettes ou saucisses. Pendant trois ans, je suis partie à la rencontre de ces mal-aimés qui nourrissent les Français. Je les ai écoutés, j’ai entendu leur souffrance. Pour ce livre, je les ai rejoints sur la chaîne, quelques jours, sans me cacher, histoire de “faire les gestes”. Pour comprendre.  »

J’ai déjà parlé ici ou ailleurs de plusieurs livres qui concernent les abattoirs. Beaucoup, à vrai dire, sont sortis cette année. Mais le phénomène avait commencé l’année dernière. Il y eut l’excellent roman Jusqu’à la bête, de Thimothée Demeillers, le superbe Steak Machine, de Geoffrey Le Guilcher qui est également une enquête menée de l’intérieur (L’auteur étant en fait journaliste, et ayant passé quelques mois dans l’abattoir comme employé en interim, tout à fait incognito). Il y a eu également le récit de Pierre Hamard, Omerta sur la viande, ou le récit d’un ancien inspecteur des abattoirs. Edifiant.

Le peuple des abattoirs n’est pas différent, si ce n’est qu’Olivia Mokiejewski a réussi à intégrer l’abattoir en faisant connaître son projet de livre à l’avance. Celle qu’on appelle volontiers l’emmerdeuse a réussi le pari fou de se faire intégrer dans l’un de ces endroits cachés et tabous pour en tirer une enquête sur la condition des ouvriers. On y découvre évidemment l’harrassement continu et perpetuel des gens (ou tu continues, ou tu t’en vas, ou tu crèves), la soumission absolue par nécessité financière, le découragement social, l’absence de confiance en soi (on ne peut vraiment pas trouver mieux ailleurs ?). Travailler à l’abattoir, c’est accepter de souffrir beaucoup et pour très peu. L’abattoir, c’est un endroit où « l’on détruit toutes les dignités ».

Olivia Mokiejewski livre un récit évidemment sans concession, sur un lieu symbolique, un lieu où la mise à mort est le quotidien est salariés, un lieu qui de concession n’en fait jamais aucune. Mise à mort, dépeçage, découpe, mise en boîte : les salariés sont livrés sur le long terme au même sort funeste que les bêtes. A lire absolument.

Le peuple des abattoirs, de Olivia Mokiejewski, Grasset, Mai 2017, 180 pages, 17 euros.

About Stéphanie Joly

D'abord critique littéraire dès 2004 pour le Journal de la Culture, puis pour la Presse littéraire. Collabore ensuite au Magazine des Livres, et à Boojum, l'animal littéraire en ligne. Tient un blog depuis 2003. Son nouveau site s'intitule désormais Paris-ci la Culture. Il parle de littérature, toujours, de cinéma, de théâtre, de musique, mais aussi de publicité, de séries TV. En bref : de Culture. Avec Paris-ci la Culture, la Culture a son divan, mais surtout, elle est relayée LIBREMENT. PILC Mag vient compléter le tout presque chaque mois : un magazine gratuit en ligne hébergé sur Calameo.