La javanaise
Baltimore, 1962. En pleine Guerre Froide, Les Etats Unis essaient de rattraper leur retard dans la course à l’espace avec l’URSS. Au sein d’un laboratoire secret, Elisa, handicapée par son mutisme, va et vient se fait discrète, vacant à ses occupations de femme de ménage. Jusqu’au jour où elle se retrouve nez à nez avec une étrange créature avec laquelle elle va développer une singulière relation.
Pour certains artistes, le Graal le plus important provient de la reconnaissance, que ce soit par un large public, par les critiques ou encore par ses pairs. C’est pourquoi la course dorée aux récompenses obsède quelques-uns au point qu’ils en oublient en chemin l’essence même de leur force. Le cinéma n’est point exempt de ce grand détournement, surtout quand les sirènes d’un Lion, d’un Ours, d’une Palme d’or et bien sûr des Oscars retentissent et deviennent de fait, la clé finale d’une consécration. Pour obtenir ces veaux sacrés, plusieurs cinéastes ont troqué en partie leurs âmes ces dernières années…Ridley Scott, Scorsese , Innaritù. Or, à l’annonce de la pluie de nominations et de récompenses à l’égard de La forme de l’eau, il était légitime de se poser la question de savoir si Del Toro, chouchou des critiques européennes mais mal aimé par un très grand nombre et par une partie de sa profession, avait cédé aux trompes l’œil modernes.
De prime abord, La forme de l’eau présente de séduisants atours, Del Toro puisant son esthétique rétro chez bon nombre de cinéastes (certains citeront Jeunet mais c’est surtout l’influence de Jack Arnold et de sa Créature du lac noir qui se fait sentir) avec un savant mélange entre univers dramaturgique et par certains côtés celui des séries B des sixties entre films d’espionnage et de science-fiction. Au sein de ce décor détonnant comme un cocktail improbable, il raconte une histoire d’amour impossible, celle que l’on a vu cent fois mais que l’on veut voir encore. Usant des ficelles des contes et mythes, le réalisateur n’hésite jamais à citer biblical epics et mythes d’antan pour appuyer son approche. Si beaucoup opteront pour la comparaison avec La belle et la bête, l’amalgame avec le mythe d’Orphée et d’Eurydice se veut ici beaucoup plus judicieuse (d’ailleurs le metteur en scène l’annonce furtivement, le cinéma du début se nomme…Orphée). Sauf qu’ici c’est Eurydice qui vient chercher Orphée aux enfers et le sauver revient à le plonger dans des abysses plus profonds. C’est dans ce fourmillement d’anecdotes invisibles que réside la véritable poésie du film, ô combien naturelle, sans fioritures, contrairement à l’arsenal lyrique et peu subtil que Del Toro déploie sur le reste du long-métrage.
Pour Del Toro, les monstres sont des héros et les hommes sont des monstres. Chez lui la monstruosité est marque de noblesse et à l’instar de Frankenstein ou de Quasimodo, peut devenir par l’apprentissage du don de soi, une forme d’humanité. Mais si la métaphore sibylline, si bien montrée dans Le labyrinthe de Pan ou encore Hellboy, faisait mouche autrefois, elle devient ici lourde la faute en incombe à un script et une mise en scène beaucoup trop ostentatoire, voire prétentieuse. La volonté bien trop explicite du cinéaste d’exposer des protagonistes incomplets aussi bien dans leur handicap que dans leur sexualité, finit par lasser au lieu d’émouvoir. Les vers s’étiolent petit à petit et surtout ne parviennent pas à rendre tangible le désir émanant de l’amour des deux amants. Malgré les performances de Michael Shannon (une nouvelle fois impeccable) et de Richard Jenkins, il est difficile d’avoir foi dans ce qui se déroule sous nos yeux. Cette ode à la différence s’avère plus putassière que nécessaire, et interpelle par son appel aux convenances et à la bienséance. Mais le plus regrettable provient sans nul doute de l’aspect recyclage de l’ensemble. Si la fidélité au regard ou à ses thématiques importe plus que tout pour un réalisateur, il est regrettable qu’ici, en revanche, Del Toro ne fait que transposer, dans un chantier sans nom, bon nombre non pas de ses idées, mais bel et bien de ses synopsis. Il ne fait que citer son propre cinéma (Hellboy 1 et 2, l’Echine du diable, Le labyrinthe de Pan), concoctant peut être bien malgré lui un monstre…bel et bien informe. D’ailleurs le look de la créature n’est-il point le même que celui d’Abe Sapiens alors que le personnage de Michael Shannon se confond avec celui de d’Eduardo Noriega dans l’Echine du diable.
Nul doute qu’à l’arrivée, La forme de l’eau se transforme en produit formaté, certains diront un énième film à oscars. N’arrivant jamais à transfigurer des axes de départ intéressants, Del Toro s’est perdu en chemin mais a gagné en même temps ce qu’il était venu chercher…Si l’emballage séduit et insuffle une bouffée d’oxygène dans ce marasme ambiant, la remontée à la surface devra malheureusement encore attendre.
Film américain de Guillermo Del Toro avec Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins. Sortie le 21 février 2018. Durée 2h03.